Agenda culturel du 8 au 15 novembre 2021

C’est le grand retour de nos sélections de sortie. Comme avant avant le Covid nos sélections ne sont pas des publicités, mais un choix de la rédaction.

Théâtre

A L’ouest – Jonathan Lambert – Rodolphe – 9 et 10 Novembre – 20h30.

A L’Ouest – Quentin – Toujours debout – 13 novembre – 21h15.

Théâtre l’écho du Robec – Angie Queen l’ultime – 13 novembre 2021 – 20h30.

L’étincelle – La folle idée- Théâtre de la foudre – Du 8 au 10 novembre 2021 – 20 heures

CDN – Les gros patinent bien – Théâtre des deux rives – Du 9 au 13 novembre 2021 – horaires variables

Musique du monde

L’étincelle – Les Amazones d’Afriques – Salle Louis Jouvet – 9 novembre – 20 heures.

Musique classique

Théâtre des Arts – La vie parisienne – Offenbach – voir notre article– Du 7 au 13 novembre 2021 – (horaires variables)

Musées / expositions

Maison Marou – Cluedo géant ambiance Ma dame Bovary – Tous les jours départs réguliers (jusqu’au 14 novembre)

Abbaye Saint-Georges de Boscherville – Flaubert entre ici et ailleurs (jusqu’au 14 novembre)

Archives départementales de Seine Maritime – Dans la tête de Flaubert – Du 8 octobre 2021 au 9 janvier 2022

Musée des Beaux Arts – Dans l’intimité de Gustave Flaubert – jusqu’au 12 décembre 2021

Musée des Beaux Arts – Judit Reigl, le vertige de l’infini – jusqu’au 17 janvier 2022

Dégustation

Arômes et passions – Cave vins et fromages- Mardi 9 novembre –

Conférences

Académie des sciences belles lettres et arts de Rouen – Journée hommage à Flaubert – 20 novembre 2021

Le Bourgeois-gentilhomme, comédie philosophique sur mesure

L’orgueil qui éblouit aveugle

La rareté d’une pièce classique sur l’agglomération rouennaise (voir notre agenda p.) nous offre l’occasion de scruter cette œuvre ô combien célèbre que Molière créa, avec Jean-Baptiste Lully, au château de Chambord, le 14 octobre 1670, pour répondre à la volonté du roi soleil de rendre l’humiliation à l’humiliant ambassadeur du Grand Truc. Le contexte est doublement particulier. Un an plus tôt, le roi recevait l’ambassadeur du sultan de l’empire Ottoman. Les fastes furent d’un éblouissement extraordinaire que ridiculisa l’ambassadeur, prétendant que chez lui son cheval était plus richement orné que ce qu’il avait vu à Versailles. Qu’à cela ne tienne, le roi entend ridiculiser le Turc et Molière saute sur l’occasion d’une turquerie. La mode en effet est à ce divertissement, à cette curiosité orientale qui intrigue. Pour autant, l’exotisme sultanesque n’arrive qu’à l’extrême fin de la pièce, tel le couronnement ridicule de toute l’intrigue, comme nous l’expose Romain de La Tour.

« Le devoir de la comédie étant de corriger les hommes en les divertissant, j’ai cru que, dans l’emploi Àoù je me trouve, je n’avais rien de mieux à faire que d’attaquer par des peintures ridicules les vices de mon siècle. » Ces mots, par lesquels Molière présente le Tartuffe, s’applique à l’ensemble de son œuvre et donne le ton de ce Bourgeois-gentilhomme tout autant que du tartuffe. Et pour parvenir à ses fins, Molière s’emploie à écrire avec Lully une comédie-ballet. Une parmi d’autres de la collaboration parfois houleuse entre ces deux talents du Grand-siècle. Si la moquerie ultime retombe sur les Turcs, le ridicule qui traverse toute la pièce sous une myriade de parements littéraires, scéniques ou musicaux n’a qu’un seul bouffon que les deux maîtres s’ingénient à bastonner, l’orgueil. À l’énoncé du titre de la pièce les aristocrates ont voulu la faire interdire craignant d’être à nouveau rossés et les premières furent mollement accueillies, jusqu’au satisfecit total du roi qui sut apprécier. C’est que l’intrigue ne s’en prend ni aux bourgeois, ni aux gentilshommes, mais au tiret qui les lie ou les sépare comme deux hémistiches en chiens de faïence. Monsieur Jourdain n’est pas ridicule d’être niais ou naïf ou encore ballot, il se rend ridicule lui-même par son aveuglement. Cet aveuglement particulier que procure l’éblouissement. Une lumière éclaire. Mais ce qui éblouit aveugle. Aussi est-ce un travers très particulier que Molière épingle sur scène, comme Socrate eut voulu avertir Glaucon. C’est à un maître vice que le comédien offre le premier rôle de sa pièce. L’orgueil est ici l’acteur principal, le metteur en scène, tout autant que l’écrivain. Si Monsieur Jourdain est une caricature destinée à divertir, le costume qu’il revêt prend bien les mille et mille parures universelles de cet orgueil dont nous portons, soyons honnêtes, de bien scintillantes pierreries, tout aussi éblouissantes que la lubie de notre bourgeois se voulant faire gentilhomme. S’il existe une panoplie incroyablement variée des formes d’orgueil, Molière nous donne à voir leur trait commun brocardé sous les traits de cette grenouille qui se veut faire aussi grosse que le bœuf. L’orgueil est avant tout une duperie qui nous faire revêtir des habits pour cacher notre vérité propre au monde. L’orgueil est, en son ultime fondement, une honte, un refus de soi. C’est ce que notre homme cache sous une illusion de transformation, où le paraître oublie l’être. De proche en proche cette mystification lui donne le sentiment de ce qu’il refuse de ne pas être et ce faisant, il donne à vivre à sa baudruche, laissant dépérir sa vérité. Quittant le réel, refusant le monde tel qu’il est, il s’aveugle sur lui comme sur les autres, persuadé que tous sont dupes de sa propre duperie. Mais la morale de cette fable humaine est peut-être dans l’illusion ultime qui enferme tous les orgueilleux, persuadés que nous sommes de ne pas être démasqués, quand ce vice défigurant, nous présente au monde parés de ces atours ridicules du bourgeois-gentilhomme.

Romain de La Tour

Clap de fin pour une saison des sans (cent) voix au CDN

Le CDN de Normandie-Rouen achève sa saison par une pièce assez emblématique de ce que fut la cuvée 2018/2019. Simon, la méduse et le continent, un émouvant spectacle qui donne la parole à ceux qui ne l’ont pas, qui pose, devant nos yeux, incontournables, les questions qu’on ne sait pas formuler. Simon, un enfant handicapé muré dans son silence bouillonnant de questions, d’interprétations, nous impose son propre regard sur lui, sur le handicap, sur la différence, mais aussi sur le monde quotidien, que nous, adultes, maquillons de tant d’hypocrisie et de non-dits. Fort bien interprété, par Simon Vialle, jusque dans le répétitif tournoyant en absurde réfléchi, la pièce est sobre, comme souvent sur la scène du CDN, car l’essentiel est dans le texte et la manière de le dire.

Nous ne sommes pas allés à toutes les représentations du CDN de cette saison, mais nous n’en avons pas manqué beaucoup. Au théâtre des deux rives ou à la foudre, ou occasionnellement à l’opéra et à la chapelle Corneille, la force de cette saison 5 aura été, incontestablement, cette parole donnée aux sans voix du quotidien. Bien entendu, il y a eu quelques places pour les grandes voix muettes, comme la condition de la femme, mais c’est surtout à ces petites voix que nous croisons tous les jours, les sdf, les autistes, les enfants, et qui sait, peut-être plus encore, notre petite voix intérieure que les acteurs, toujours si proches de leur personnage, ont servi de porte-voix.

La saison 5 s’est révélée une étonnante introspection à qui voulait bien se laisser déranger devant ce quotidien (son quotidien) ainsi dépouillé de tous les artifices que notre monde s’ingénie à mettre en scène pour justement ne pas voir, ne pas entendre.

Un théâtre engagé qui pousse les petits et les grands à se mettre, à leur tour, nus sur la scène, face au réel dépouillé. Une mise en abime, le temps d’un spectacle, de ce qu’est la vie des autres (et la sienne sourde et cachée) dans toute sa nudité.

Romain de La Tour