Rouen – la Faculté de Santé sans tabac

Avec l’accord unanime du conseil de gestion de sa faculté de Santé, le Doyen, le professeur Pierre Fréger, chef de service de Neurochirurgie, a confié à deux professeurs émérites de la faculté, Jean Costentin et Jean-Pierre Goullé, le soin d’animer la mise en place de la « Faculté sans tabac ».

Rouen sur Scène : Pr. Costentin, comment avez vous procédé ?

Il fallait partir de la présentation du désastre sanitaire qu’est le tabagisme en France : 79.000 morts chaque année; comme si chaque jour se crashait en France un Boeing avec 220 fumeurs à bord. Le tabac, première cause de mort évitable, réduit en moyenne de 20 ans la durée de vie de ses consommateurs. Qui plus est, avant d’en mourir ou de mourir d’une autre cause, le fumeur présente des troubles qui altèrent notablement son confort de vie.

RsS : Comment avez-vous sonné l’alerte ?

            Lors d’une soirée consacrée au lancement de cette opération  plusieurs praticiens se sont succédés à la tribune ; chacun(e) restituant, dans le domaine de sa spécialité les méfaits du tabac : les professeurs P. Fréger, J. Costentin (neurobiologiste), J.-P. Goullé et M. Guerbet (toxicologues), A. Baguet (addictologue) ; Annie Lemercier (addictologue spécialisée sur le tabac et sur ses relations avec la grossesse), E. Durand ( cardiologue), M. Salaün (pneumologue), un étudiant en Médecine et une étudiante en Pharmacie, qui ont présenté leurs souhaits. Un document d’une vingtaine de pages rassemble ces contributions (pour l’obtenir : jean.costentin@univ-rouen.fr).


             RsS : La peur de souffrir étant souvent plus grande que celle de mourir, précisez nous ces méfaits

Au plan cardio-vasculaire on peut évoquer l’artérite de la jambe qui limite le périmètre de marche, une douleur violente dans le mollet imposant de s’arrêter, ce périmètre va se réduisant, obligeant à garder la chambre, puis peut venir le temps des amputations. Ou encore l’angine de poitrine et sa douleur constrictrice dans la poitrine obligeant à interrompre l’effort ; bien sûr, les infarctus du myocarde ainsi que les accidents vasculaires cérébraux.

Les cancers du larynx, du pharynx, de l’appareil respiratoire… ; les bronchites chroniques, la broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO), avec un essoufflement chronique et l’insupportable sensation d’asphyxie.

Des perturbations de la grossesse, fausses couches, prématurité, petit poids de naissance, mort subite inexpliquée, hyperactivité avec déficit de l’attention de ; l’enfant…

Cette énumération des méfaits avérés du tabagisme n’est, hélas, pas exhaustive.

RsS : Que cette initiative émane de la faculté de Santé est évident ; néanmoins voudriez-vous compléter sa logique.

Je citerais ici les propos introductifs du Doyen : « Il est inconvenant qu’au sein de notre faculté, où l’on enseigne les méfaits multiples et graves de cette drogue et où l’on forme les futurs praticiens de Santé à développer les arguments propres à dissuader leur patientèle de succomber à ce toxique et plus encore à convaincre ceux qui ont été piégés de s’en affranchir, on puisse fumer en toute inconscience. Ce « faites ce que je dis et n’imitez pas ce que je fais », n’est pas acceptable. Nous avons un devoir d’exemplarité ».

Nos jeunes sont piégés chaque jour plus précocement par le tabac ; dès le collège ; la difficulté de s’en détacher est d’autant plus grande que la consommation se poursuit plus longtemps ; ainsi l’université est presque une ultime étape pour tenter de les en détacher. L’expérience de notre faculté de Santé aurait vocation à être reproduite dans les autres facultés de notre Université de Rouen, puis dans toutes les universités de Normandie.

RsS : Que ferez-vous de ceux, très dépendants, qui ne pourraient s’astreindre à ne pas consommer pendant leur séjour dans l’enceinte de la faculté ?

On établira un dialogue avec eux, pour les convaincre « de prendre la vie à pleins poumons » ;

on pourra, dans une phase intermédiaire, leur recommander le recours aux vapoteurs, utilisés dans un lieu discret, à l’abri du regard de leurs collègues et des passants ;

on pourra aussi les diriger vers une consultation spécifique d’aide aux sevrage tabagique (prise en charge par l’assurance maladie).

RsS : De façon plus personnelle qu’est-ce qui vous mobilise ?

Mon expérience d’ancien fumeur, qu’un laxisme ambiant avait recruté, et qui ne serait plus là s’il n’avait cessé sa consommation il y a 40 ans ;

mon attention au monde étudiant, à qui j’enseigne depuis 50 ans ;

ma bonne connaissance des drogues et toxicomanies ;

mon vif désir d’être utile à notre société et particulièrement à ses jeunes.

Avec le Pr. Goullé nous présidons le centre national de prévention, d’études et de recherches sur les toxicomanies (CNPERT) qui exprime ses objectifs par la formule : « S’il est important de se préoccuper de l’état de la planète que nous léguerons à nos enfants, il l’est plus encore de se préoccuper de l’état des enfants que nous léguerons à cette planète »