Quel Rouennais ne connait pas Philippe ? Aussi institutionnel que Paul ou Gill, chacun dans son style, il faudra désormais compter avec Matis, le fils de Philippe qui l’a rejoint en cuisine. L’ambiance a changé avec la salle redécorée au goût du jour. Un rien de retro, beaucoup modernité discrète, quelque chose du bistrot ou de la table d’antan pour une ambiance moderne qui n’en rajoute pas. Un rien sonore toutefois, la salle se distingue sur deux niveaux dont l’un reste agréablement ouvert sur la cuisine d’où s’exhalent bonnes odeurs et bonne ambiance.

Les inspecteurs du guide Michelin aiment employer l’expression « cuisine inventive » à tel point qu’on imagine qu’ils sont à court d’imagination pour imager ce qu’ils ont mangé. Mais là, dans l’assiette il y a plus qu’inventivité. Ce serait presque une cuisine intellectuelle. Au sens étymologique, elle se lit de l’intérieur tant il y a de richesses et de subtilités qui tissent un mille-feuille de saveurs et de textures. Elle se déguste, mais pour qui s’attarde à ce qui se passe en bouche, il y a cette même complexité subtile qu’une gorgée de vin. C’est particulièrement vrai pour les entrées et par exemple le nid de poireaux œuf poché. L’œuf est là, le poireau est là, mais outre le fait que l’œuf soit parfaitement poché ne laissant rien du trop cuit ou du pas assez, et bien que le poireau soit un petit peu brûlé toutefois, l’impression de paille en bouche est saisissante et l’œuf qui s’écoule comme le liant du nid fait de son parfum et de celui du poireau une création éphémère que le gras de l’œuf maintient pourtant en bouche quelque temps au-delà de la dernière bouchée. La complexité se faire encore plus subtile pour l’œuf Bénédicte, toujours aussi parfaitement poché, et son avocat fondant. Un va et vient en bouche d’autant plus déroutant que le gras de l’œuf comme de l’avocat se portaient presqu’en s’atténuant délicatement sur une version très étudiée de croque-monsieur panaïs. Mais ce n’est pas la trouvaille inventive qui ravit les papilles et l’esprit, c’est l’équilibre de l’ensemble en une seule bouchée, comme s’il s’était agi d’un seul aliment, d’une seule consistance, d’une saveur unique diffractée en autant d’ingrédients. Ces entrées ne sont pas seulement inventives, elles sont construites, pensées, préparées, comme un acteur répète son spectacle.

Le Cabillaud, pour sa part, était un peu trop cuit selon les critères au goût du jour, mais le coulis de tomate nous ouvrait aux saveurs de l’été en plein hiver. Pour le côté végétarien, le risotto polenta champignons, offrait cette subtilité du fondant de la polenta, sans l’ombre d’une aspérité granuleuse et le craquant du champignon gouteux.

Créatif enfin, c’est dans les pana cota qu’on découvre une véritable nature morte d’une étonnante fraîcheur. Mieux que le coulis, ce sont les fruits, de la passion ou rouges, qui débordent de la coupe comme le relief d’un tableau naturaliste.
Une table qu’il fait bon retrouver.
Table visitée le 18 janvier 2019 et le 16 mars 2019
Armelle Le Victrix
