Le Bourgeois-gentilhomme, comédie philosophique sur mesure

L’orgueil qui éblouit aveugle

La rareté d’une pièce classique sur l’agglomération rouennaise (voir notre agenda p.) nous offre l’occasion de scruter cette œuvre ô combien célèbre que Molière créa, avec Jean-Baptiste Lully, au château de Chambord, le 14 octobre 1670, pour répondre à la volonté du roi soleil de rendre l’humiliation à l’humiliant ambassadeur du Grand Truc. Le contexte est doublement particulier. Un an plus tôt, le roi recevait l’ambassadeur du sultan de l’empire Ottoman. Les fastes furent d’un éblouissement extraordinaire que ridiculisa l’ambassadeur, prétendant que chez lui son cheval était plus richement orné que ce qu’il avait vu à Versailles. Qu’à cela ne tienne, le roi entend ridiculiser le Turc et Molière saute sur l’occasion d’une turquerie. La mode en effet est à ce divertissement, à cette curiosité orientale qui intrigue. Pour autant, l’exotisme sultanesque n’arrive qu’à l’extrême fin de la pièce, tel le couronnement ridicule de toute l’intrigue, comme nous l’expose Romain de La Tour.

« Le devoir de la comédie étant de corriger les hommes en les divertissant, j’ai cru que, dans l’emploi Àoù je me trouve, je n’avais rien de mieux à faire que d’attaquer par des peintures ridicules les vices de mon siècle. » Ces mots, par lesquels Molière présente le Tartuffe, s’applique à l’ensemble de son œuvre et donne le ton de ce Bourgeois-gentilhomme tout autant que du tartuffe. Et pour parvenir à ses fins, Molière s’emploie à écrire avec Lully une comédie-ballet. Une parmi d’autres de la collaboration parfois houleuse entre ces deux talents du Grand-siècle. Si la moquerie ultime retombe sur les Turcs, le ridicule qui traverse toute la pièce sous une myriade de parements littéraires, scéniques ou musicaux n’a qu’un seul bouffon que les deux maîtres s’ingénient à bastonner, l’orgueil. À l’énoncé du titre de la pièce les aristocrates ont voulu la faire interdire craignant d’être à nouveau rossés et les premières furent mollement accueillies, jusqu’au satisfecit total du roi qui sut apprécier. C’est que l’intrigue ne s’en prend ni aux bourgeois, ni aux gentilshommes, mais au tiret qui les lie ou les sépare comme deux hémistiches en chiens de faïence. Monsieur Jourdain n’est pas ridicule d’être niais ou naïf ou encore ballot, il se rend ridicule lui-même par son aveuglement. Cet aveuglement particulier que procure l’éblouissement. Une lumière éclaire. Mais ce qui éblouit aveugle. Aussi est-ce un travers très particulier que Molière épingle sur scène, comme Socrate eut voulu avertir Glaucon. C’est à un maître vice que le comédien offre le premier rôle de sa pièce. L’orgueil est ici l’acteur principal, le metteur en scène, tout autant que l’écrivain. Si Monsieur Jourdain est une caricature destinée à divertir, le costume qu’il revêt prend bien les mille et mille parures universelles de cet orgueil dont nous portons, soyons honnêtes, de bien scintillantes pierreries, tout aussi éblouissantes que la lubie de notre bourgeois se voulant faire gentilhomme. S’il existe une panoplie incroyablement variée des formes d’orgueil, Molière nous donne à voir leur trait commun brocardé sous les traits de cette grenouille qui se veut faire aussi grosse que le bœuf. L’orgueil est avant tout une duperie qui nous faire revêtir des habits pour cacher notre vérité propre au monde. L’orgueil est, en son ultime fondement, une honte, un refus de soi. C’est ce que notre homme cache sous une illusion de transformation, où le paraître oublie l’être. De proche en proche cette mystification lui donne le sentiment de ce qu’il refuse de ne pas être et ce faisant, il donne à vivre à sa baudruche, laissant dépérir sa vérité. Quittant le réel, refusant le monde tel qu’il est, il s’aveugle sur lui comme sur les autres, persuadé que tous sont dupes de sa propre duperie. Mais la morale de cette fable humaine est peut-être dans l’illusion ultime qui enferme tous les orgueilleux, persuadés que nous sommes de ne pas être démasqués, quand ce vice défigurant, nous présente au monde parés de ces atours ridicules du bourgeois-gentilhomme.

Romain de La Tour

Le misanthrope, ou l’ode à la sincérité

Sur les écrans en ce moment, ou dans la prestigieuse salle Richelieu, La Comédie Française redonne un époustouflant Misanthrope mis en scène par Clément Hervieu-Léger, une des visions les plus acérées de Molière. Il y a chez le metteur en scène une clarté dans le discours de Molière qui nous entraine toujours à la plus substantifique des moelles du comédien royal. On sait le fondateur de la troupe de la Comédie Française expert en comportements humains. Comme Verdi en son temps, il déclame en vers ses nombreuses passions humaines que le compositeur mettait en musique. Avec une acuité saisissante, rien des travers comme des hauteurs du comportement humain ne semble avoir échappé à l’auteur de tant de comédies humaines. Et Clément Hervieu-Léger n’a pas son pareil pour explorer cette pensée anthropologique et la rendre dans toute sa vérité actuelle.

Cela se vérifie encore avec une puissance particulière dans ce Misanthrope en costume d’époque. Epoque de l’époque de l’auditoire, comme Molière, en son temps, entendons, de nos jours. C’est ainsi, comme souvent dans cette adaptation, qui n’est que retour aux sources, que le message dépouillé du folklore nous interpelle aujourd’hui comme hier, par-delà les particularismes d’un temps, si tant est qu’on s’aveugle à croire qu’aujourd’hui il n’y a plus de cours à Versailles, quand elle s’est dispersée en autant de lieu de pouvoirs. Si les costumes sont d’aujourd’hui, la salle pourrait bien être d’hier. Si les vers sont d’hier, leur jeu est bien d’aujourd’hui. Et il nous faut ici tirer une révérence toute particulière à Loïc Corbery qui toujours sait rendre aux alexandrins le naturel d’une discussion commune.  Si la mise en scène n’a eu de cesse de jouer sur ce naturel d’un XXIème siècle au phrasé dix-septièmiste  et d’une gestuelle d’une sobriété plus contemporaine, c’est bien Alceste qui portait ce pont réussi entre deux époques, unissant un seul monde, celui de l’homme tant intérieur que social.

Détaché par force, dégouté par voix de conséquence, le Misanthrope chérit plus la vérité et l’amitié vraie qu’il ne hait le monde. Sa fuite ultime n’est pas tant le rejet des hommes que son incapacité à lui à vivre avec ces hommes qu’il aimerait tellement s’ils étaient, comme lui, amoureux de la vérité, hérauts de l’authenticité. Derrière cette répulsion du monde de ses semblables n’est-ce pas plutôt la peine que l’amour et la vérité ne soient pas aimés comme lui les aime qui le conduit au désespoir tragique d’une solitude dans laquelle Alceste ne cesse de s’enfoncer comme on remplit des douves ? La sobriété, un peu sombre du décor laisse toute la place au jeu de scène duquel, quoiqu’il fasse, Loïc Corbery se trouve toujours plus isolé bien qu’entouré.

Romain de La Tour

Spectacle vu le 26 mars 2019 – Kinepolis de Rouen

au Kinepolis les 31 mars et 1er Avril

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Une troupe à découvrir a-bso-lu-ment.

Le Bourgeois-gentilhomme – Théâtre L’Echo du Robec, Darnetal –

Représentation vue le 2 décembre 2018.

Nous regrettons souvent le peu de pièces classiques données à Rouen, mais il est un théâtre d’une exceptionnelle qualité, trop peu connu des Rouennais. Une troupe aux arts complets. Danse, chant, jeux de scène, interprétation pour grand effet garanti avec de sobres moyens. La pièce de Molière est admirablement servie en tous points par de talentueux comédiens qui ont assurément plaisir à jouer.

Romain de La Tour

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