Dimanche dernier, Jazz in Mars clôturait son festival avec trois invités de marque. Le sax Ténor, André Villeger, le batteur François Laudet et le trompettiste Fabien Mary. Trois grands noms français du Jazz accompagnés par le big band Christian Garros dont nous avons déjà parlé en ouverture de ce festival. L’ambiance était à la fête sur un style Nouvelle Orléans dominant. Un orchestre précis et dynamique s’en est donné à cœur joie. Mais malgré son jeune âge qu’entouraient des monstres sacrés du jazz, celui qui nous a le plus réjouit était, et de très loin, Fabien Mary. Un jeu sans faille, une maîtrise de l’instrument comme de l’improvisation absolument inspirée, mais par-dessus tout une étonnante douceur de jeu, très éloignée des habituellement clinquant qui font de la trompette un tonitruant habituel du répertoire. Non, avec Fabien Mary, tout au contraire la douceur, la chaleur dont peut être capable la plus classique des trompettes soulignait une ligne musicale vive mais apaisée, donnant au discours une tenue sereine, laissant aux syncopes toute la force du relief. Avec une telle chaleur, un tel velours, si peu habituel pour les cuivres dans le Jazz, c’est toute l’âme de la musique qui se donne à voir, débarrassée des fioritures tonitruantes. Un très beau moment de musicalité qui n’enlève rien au swing ni à la fête, mais la colore peut-être simplement de vérité.
Cyril Brun
Concert entendu le 31 mars 2019 – Bois-Guillaume, Jazz in mars
La formule est aussi originale
que complète pour un spectacle fortement jazzy mis en scène et interprété par l’orchestre
du Grand Turc. La bonne humeur et l’amusement sont visiblement consubstantiels
à cette troupe d’artistes tout à la fois instrumentistes, chanteurs, comédiens
et bons vivants. L’ensemble, musicalement propre et rigoureusement rodé, entraîne
le public dans une France des années 39/45 aux envies de liberté. Styles variés
sur une musique jazz et blues, parfois instrumentale, souvent chantée, la
soirée est menée avec entrain et humour. Pour autant, les chanteurs qui sont
avant tout instrumentistes n’ont pas toujours la voix assurée et si nous avons
le bonheur d’avoir ce pétillement jazzy qui nous entraîne vers le haut dans une
véritable envie de danser, les musiciens n’avaient un véritable niveau d’improvisation,
demeurant dans des partitions parfaitement exécutées mais contenues.
Cyril Brun
Concert entendu le 24 mars 2019. Jazz in Mars Bois Guillaume
Vendredi soir Jazz in Mars ouvrait à guichets fermés pour tous les concerts (sauf un), avec trois invités. Le local de l’étape, le big band Christian Garros et deux artistes de renommée mondiale, Michel Plastre au saxophone ténor et Fabien Ruiz aux claquettes, pour un concert à la fois tonique et pédagogique. Avec Philippe Carment (voir notre interview) et les musiciens du Big Band, c’est un voyage au cœur de l’histoire du jazz et particulièrement du Jazz de la Nouvelle Orléans. Interprétations, mais aussi explications anecdotes, les concerts jazz c’est aussi et d’abord en famille que ça se passe. Une passion partagée du tréfond des instruments, mais aussi par la pédagogie simple et pleine d’humour. Que l’ensemble des artistes me pardonne, mais c’est Fabien Ruiz qui a dominé toute cette soirée, lui donnant l’originalité de la rareté, la grâce de l’excellence et la finesse qui parfois a pu faire défaut. Il y a deux lignes de swing pourrait-on dire. Une ligne à tendance horizontale qui avance en marquant les accents vers le bas et laissant retomber les notes et fins de phrases. Considérée comme un défaut quand c’est involontaire, c’est aussi un style, notamment pour les interprétations graves ou processionnaires. L’autre au contraire, se veut plus pétillante et semble comme lancer toutes les notes vers le haut comme s’il n’y avait dans une balle que l’impulsion du rebond. De part en part l’interprétation donnée par le Big Band Christian Garros tenait de la première, ce qui alourdit un ensemble pourtant tonique et vivant quoique souvent approximatif dans le détail, comme si les musiciens s’en donnant à cœur joie d’une passion communicative, ne jouaient pas le même swing.
Sur cette base orchestrale joviale, Michel Plastre faisait swinguer son instrument comme la salle avec un pétillement digne du traditionnel champagne à trois euros du festival. C’est dans cette ligne de fines bulles que Fabien Ruiz donna le rythme à la soirée, faisant de ses claquettes une des percussions centrales de l’orchestre. Précision, finesse, nuances, tempi le tout en impro permanente pour une paire de pieds époustouflante, tapant la blanche comme la croche sur toute l’étendue du métronome.
A l’occasion de la 4ème édition de Jazz in Mars, à Bois-Guillaume, nous avons rencontré Philippe Carment, pianiste du Big Band Christian Garros. Grande formation rouennaise qui fera l’ouverture et la clôture de ce festival de Jazz aux contours aussi professionnels que bon enfant.
Rouen Sur Scène – Philippe
Carment, vous êtes le pianiste et un des piliers du Big Band Christian Garros.
Un ensemble fondé en 1978 par un des plus grands batteurs de Jazz européen de
l’époque.
Philippe Carment – Oui, en 1978, Christian Garros, rouennais
d’origine, revient dans sa ville natale et fonde une école d’improvisation
ainsi qu’un grand orchestre qui a connu beaucoup de succès, sous différents
noms. A la mort prématurée et rapide de son fondateur, en 1988, l’équipe a
décidé de reprendre le flambeau et de donner au big band le nom de Christian
Garros. Aujourd’hui la formation se compose de quatre trompettes, quatre
trombones, trois musiciens à la rythmique, cinq saxophonistes et une chanteuse.
Certains sont amateurs, d’autres pro ou semi-pro. En plus de donner une dizaine
de concerts chaque année, nous organisons des animations dans certains
collèges, à raison de deux séances d’une heure trente en quintet qui débouchent
sur un concert rassemblant tous les collégiens.
RSS – Parmi ces concerts, il y en
a eu un qui fut à l’origine de ce qui est devenu Jazz in mars.
PC. – En effet, il y a cinq ans nous avons été invités à donner un concert en hommage à Ella Fitzgerald. Devant le succès de cette soirée unique, la municipalité a décidé l’année suivante de doubler la soirée. Et aujourd’hui c’est un véritable festival qui joue à guichets fermés.
RSS- Quel seront le programme et
les invités de ces deux soirées ?
PC. – Le dernier soir c’est un peu la fête finale. C’est pourquoi
nous avons prévu un programme surtout festif et dansant. Nous avons 3 invités
exceptionnels, à commencer par le jeune trompettiste Fabien Mary, issu de la région rouennaise, qui vient de recevoir
par l’Académie du Jazz le prix du meilleur disque de jazz français 2018 avec
son CD intitulé « Left arm blues ».
Fabien a reçu également la Victoire de la musique avec le Paris Jazz Big
Band (2005), un Django D’or avec le Paris Jazz Big Band (2005) et le Prix du
disque Français de l’académie du Jazz avec Laurent Courthaliac en 2016.
Pour lui donner la réponse, André Villéger, un des meilleurs sax
ténors français, une référence ! Et, avec eux, le batteur François Laudet, le batteur de big band
par excellence qui a notamment accompagné l’orchestre de Count Basie en Europe !
En ouverture, le vendredi 22,
nous avons invité le claquettiste Fabien
Ruiz, qui a notamment fait la chorégraphie du film « The Artist »
avec Jean Dujardin. En seconde partie le saxophoniste Michel Pastre, fameux ténor qui swingue avec un gros son
formidable !
RSS- Rouen en particulier et la
Normandie en général sont une terre « jazzfriendly ». De nombreux
concerts sont programmés, il existe plusieurs festivals. Le Conservatoire de
Rouen est de mieux en mieux placé sur la scène internationale pour ses classes de
Jazz. Sans pouvoir sans doute expliquer cet engouement normand, peut-être
pourriez-vous nous donner quelques clefs de compréhension du Jazz ?
PC. – C’est une musique avant tout de liberté, ouverte sur
l’improvisation. C’est une musique de fusion, née en Louisiane : une
rencontre entre notre musique tonale et la musique africaine qui a apporté la
fièvre du swing ! La polyrythmie africaine a le pouvoir de mettre en
transe, de s’évader, et de nous mettre dans une sorte d’état hypnotique nous
permettant de nous surpasser quand nous improvisons.
RSS – Et concrètement, comment
cela fonctionne ? Le Jazz est
construit, ce n’est pas anarchique ?
PC.- C’est très construit !
On part d’un thème de 32 mesures le plus souvent. On garde la structure
harmonique du thème pour improviser. Il y a les bases harmoniques, les bases
rythmiques, il y a aussi la couleur du blues, musique des esclaves qui
exprimaient leurs souffrances pour les transcender en bien-être.
RSS – Le jazz n’est pas
monomythe. Il n’y a pas qu’un Jazz, comme il n’y a pas qu’un style en musique
dite classique.
PC. – Oui bien entendu. Il y a maintenant un siècle de Jazz. Le
premier est celui de la Nouvelle Orléans des années 1900. C’est le style
Armstrong, Bechet, Jelly Roll Morton. Dans les années 1925, le Jazz est devenu
populaire. C’est l’époque des orchestres de danses jazz, des big band comme des
petites formations. C’est l’époque Benny Goodman, Count Basie, Duke Ellington
par exemples. Puis dans les années 30/40 c’est le temps du Be-bop, avec Charlie
Parker. Après, de nombreux musiciens novateurs apportent leurs propres styles,
comme Coltrane ou Miles Davis par exemple.