L’opéra de Rouen, Beethoven, Haydn et Mozart à Bois-Guillaume

L’opéra de Rouen sera en tournée pour un concert exceptionnel à Bois-Guillaume, salle Guillaume le Conquérant ce samedi 14 septembre à 20 heures.

Au programme de grands moment de la musique viennoise

– l’ouverture de Coriolan Op. 62 de Ludwig Van Beethoven

– la symphonie n°40 de Wolfgang Amadeus Mozart

– le concerto pour Violoncelle n°1 de Joseph Haydn

Direction musicaleBen Glassberg a été le lauréat du 55e concours international des jeunes chefs d’orchestre de Besançon à seulement 23 ans. En 2011, il fonde the London Youth Symphony Orchestra et devient il y a un an le chef d’orchestre de la Hertfordshire School Symphony Orchestra.
SolisteVictor Julien Laferrière étudie le violoncelle au Conservatoire Supérieur de Paris et s’est perfectionné à l’université de Vienne. Vainqueur du 1er prix au concours Reine Elisabeth de Bruxelles en 2017, il est également vainqueur aux Victoires de la Muqsique classique 2018 dans la catégorie “Soliste Instrumental de l’Année”.

Réservations

Quelques mots d’explications

Toute l’école de vienne en concert à BG

Trois hommes qui semblent bien éloignés par le tempérament, l’histoire et la musique et qui pourtant forment au sens le plus strict du terme le véritable clacissisme musical. Quand nous parlons de musique classique pour désigner génériquement la musique « ancienne », nous commettons un abus de langage car la véritable musique classique se fonde et tourne autour de trois monstres sacrés piliers de « l’école de Vienne » que sont Haydn, le maître, Mozart le génie et Beethoven le génial. Ils se présentent dans ce concert sous trois formes musicales qu’ils vont bousculer, mais dont ils sont pourtant les représentants inversés. Beethoven, maître de symphonie est à l’ouverture opératique. Mozart le concertant est à la symphonie et Haydn le symphoniste de l’opéra est au concerto.​​​​​​​

Mozart, de la 40èmeau Requiem, il n’y a qu’un drame

C’est sans doute la symphonie la plus connue de Mozart. Cette notoriété n’est pas sans perturber l’appréhension de l’œuvre par le public souvent enthousiaste à l’idée d’entendre Mozart et plongé dans une joie a priori dès ces premières mesures si célèbres dont la charge émotive est pourtant aux antipodes de la gaité. Nous sommes en sol mineur, une tonalité qui prendra de plus en plus la couleur du malaise et du drame et particulièrement chez Mozart. Elle est la relative (c’est-à-dire le miroir d’une certaine façon) de Si bémol majeur, tonalité de l’espérance. Il n’y a que deux (trois si nous comptons une œuvre de jeunesse) symphonies composées en mode mineur par Mozart, toutes deux en sol. Il se trouve que des passages clefs du Requiem sont aussi en cette tonalité et notamment le Domine Jesuqui campe, sans aucune espérance, la descente aux enfers. Tel serait l’état d’esprit de Mozart lorsque peu après la mort de sa fille il compose, en quelques semaines, cette symphonie dont le second mouvement est lui en Mi bémol majeur, tonalité réservée au divin, comme une prière ou un repos espéré, malgré tout pour sa fille ?

Haydn, le concerto numéro 1 pour violoncelle, entre circonstance et charnière d’une époque

Haydn est à la fois le modèle le plus accompli et le dernier représentant d’une génération de compositeurs. Lié aux princes Esterházy qui l’employaient lui et ses musiciens, Papa Haydn, compose pour les plaisirs du prince. Symphonies, opéras, et quatuors sont fonction des occasions, du nombre des instrumentistes et de leurs possibilités. Haydn fait avec ce qu’il a, quitte à réécrire selon les opportunités. Sa musique évolue avec sa propre expérience. Ainsi, ses dernières symphonies, comme son concerto pour violoncelle N°2, bénéficient-ils des exigences développées pour l’opéra. C’est une forme plus simple qui préside à la composition du premier concerto. Haydn a peu écrit de concertos et souvent pour les musiciens qui étaient avec lui autour du prince. C’est le cas de cette pièce (redécouverte en 1961) écrite sur mesure peu après son arrivée au service du prince. Le style classique n’est pas encore formellement posé et le premier mouvement s’inscrit dans une veine baroque flamboyante qui disparaitra peu à peu de son écriture. Mais tout est là de son style, la joie, la surprise, la virtuosité et la force mélodique tissée dans l’harmonie.

Coriolan, l’héroïsme et le destin, la grande dualité de Beethoven

Le rapport de Beethoven à l’opéra est complexe. Maintes fois tenté, il ne trouva jamais l’ouvrage qui pu suffisamment l’inspirer, refusant de mettre en scène le triomphe du vice. Mais il laissa quelques superbes ouvertures, sous forme d’histoire musicale. Coriolan, général romain victorieux, mais retourné contre Rome est une de ces figures héroïques à l’époque chères au maître de Bonn. Vertueux et droit, il se présente en homme fort sous les remparts terrifiés de l’Urbs, pour demander raison de son injuste exil. Ce n’est pas de gaîté de cœur que ce grand homme assiège sa ville. La rencontre d’une double désolation imposée par ce fatum(thème de la Vème) laisse une impression obscure, endeuillée, triste, posée par Beethoven en do mineur, jusqu’à l’arrivée de la mère et de la sœur du héro venues, le prier en Mi bémol majeur (tonalité du divin) de renoncer à prendre la cité qui n’est pas encore la puissante Rome. Héro, juste, le destin le rattrape. Entre la piété filiale et le déshonneur de ne pas réclamer justice, il choisit la seule sortie héroïque donnant par son suicide la victoire à la vertu et à la grandeur d’âme, la véritable force pour Ludwig.

Cyril Brun

Les 7 dernières paroles du Christ, un tremblement de terre sans séisme.

Malgré la déchristianisation du pays, les programmations musicales suivent toujours le tempo liturgique chrétien. Concerts de l’avent, de noël et chapelet d’œuvres en lien avec la passion du Christ dans le temps qui précède Pâques. Cette année, l’opéra de Rouen a choisi de présenter un des grands moments musicaux du genre, avec les 7 dernières paroles du Christ de Haydn. Une œuvre majeure à la croisée des chemins. Chemins spirituels bien entendu, chemins d’écriture musicale, chemin des genres musicaux. Spirituellement l’œuvre est une médiation. Précisément elle est la méditation du fervent Haydn sur cette page dramatique de la spiritualité chrétienne. Par sa partition, le maître joyeux nous livre sa propre relation au mystère de la mort du Christ. Et chose étonnante pour qui s’approche de des interlignes musicales, toute l’œuvre de l’introduction au tremblement de terre final est une respiration. Respiration du Christ en croix, respiration du fidèle haletant lui aussi face au drame. Mais de cette tension respiratoire se dégage, comme toujours chez Haydn, une forme de sérénité au cœur même de la tragédie messianique.

Pour autant, cette médiation reste une construction classique et à la différence d’un Christ au Mont des oliviers beethovenien, Haydn n’a pas pour ambition d’imposer sa vision de l’agonie christique. Et ce d’autant moins que l’œuvre était à l’origine destinée à scander la prédication de l’évêque de Cadix pour le Vendredi Saint. En ce sens, on peut trouver légitime l’intention des metteurs en scène, Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil, de déporter le cœur chrétien du message musical vers une médiation a ou inter religieuse, prenant le parti que le public puisse « comprendre sans analyse intellectuelle ». Etonnant chant lexical, oxymore à lui seul puisque comprendre et intellectuel se retrouvent dans leur définition propre pour « décrypter de l’intérieur, faire le tour d’une chose pour la cerner ». Ce que voulait sans doute la mise en scène se rapportait davantage à l’impression, au ressenti que nous aurions dû retrouver dans ces images d’un public filmé à Jérusalem en train d’écouter l’œuvre de Haydn. Mais soyons honnête, nous avons surtout vu défiler, avec de vraies longueurs, des personnes sans l’ombre d’une expression et visiblement plus gênées d’être filmées qu’emportées par l’émotion. Les textes qui entrecoupaient l’œuvre, tenant la place initiale du prédicateur, apportaient des éclairages variés qui, à la différence de l’intention annoncées, tendait plutôt à imposer une interprétation du mystère qu’à le proposer. Une interprétation bigarrée et sans unité. Peut-être était-ce là la manière de proposer en offrant différents visages.

Musicalement, nous avons eu plaisir à retrouver l’orchestre de l’opéra de Rouen. Une main pour le conduire a suffit à redonner toute sa force et sa qualité de jeu à l’ensemble de la phalange rouennaise. Pour autant, si l’exécution était propre et plaisante, il manqua de part en part cette respiration si emblématique de l’œuvre. Les notes s’enchaînaient sans vie. Les accents étaient plaqués sans âme. La démonstration musicale fut finalement agréablement plastique et les seuls reliefs se nichaient dans les nuances, laissant s’écouler une partition qui pourtant n’est que respiration. De forts beaux passages assurément, mais trop policés, s’achevant dans un tremblement de terre sans séisme.

Cyril Brun

Concert entendu le 15 mars 2019 – Théâtre des Arts, Rouen

Direction musicale Andreas Spering

Comédienne Marina Hands
Installation et vidéos Clarac-Deloeuil > le lab
Lumières Christophe Pitoiset
Prise de vues Julien Roques
Montage Jean-François Hautin
Conseiller littéraire pour la sélection des textes Luc Bourrousse

Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie