C’est une étonnante « réutilisation » de Jeanne d’Arc qui se jouait le 2 mars dernier au Théâtre des deux rives. La Pucelle d’Orléans a été ces dernières années utilisée, récupérée, défigurée même parfois de bien des manières. Elle a également été magnifiée par de belles compositions trop peu jouées. Sur le fil conducteur unique de la vie de Jeanne, s’est greffé la sensibilité de l’auteur, la compréhension du poète ou la pensée de l’écrivain, laissant souvent l’historien bien perplexe.
L’auteur autrichienne, Cornelia Rainer, avec Jeanne, nous livre une toute nouvelle (nous semble-t-il) exploitation de l’épopée commencée dans un pré de Domrémy. Une épopée intérieure à la conquête du sens, du courage et de la connaissance de soi. Mêlant Histoire et histoires, la pièce passe d’une époque à l’autre d’hier à aujourd’hui avec une étonnante continuité. Les questions existentielles de Jeanne deviennent celles des fillettes et des jeunes filles de notre temps. En questions tournoyantes dans la tête unique des quatre jeunes actrices, comme la diffractassion obsessionnelle d’une pensée en construction, où le choix se heurte à l’impossible aux peurs et au vertigineux multiple, c’est un véritable programme éducatif pour jeunes filles (et jeunes garçons, mutatis mutandis) qui se donne à penser au public.
Il ne s’agit pas d’imposer, mais de formuler et parfois avec grande clarté, les nébuleux détours que s’ingénient à inventer l’esprit de jeunes adolescentes. Nombre de questions sont ainsi mises à nues, laissant à l’auditoire de tirer le fil de la réflexion, les prémices ayant été débroussaillés par une mise en scène sobre pour laquelle le jeu de scène tonique servait de décor, de mobilier autant que de costume. L’histoire de Jeanne d’Arc n’est pas escamotée et si elle est le fil rouge, elle n’en est pas pour autant l’intérêt premier du spectacle mi sérieux, mi jeu d’enfant.
Un spectacle qui mériterait sans doute de figurer au programme des fêtes Jeanne d’Arc, comme de circuler dans les lycées de l’agglomération rouennaise.
Romain de La Tour
Spectacle vu le 2 mars 2019 – Théâtre des deux Rives – CDN
