Le misanthrope, ou l’ode à la sincérité

Sur les écrans en ce moment, ou dans la prestigieuse salle Richelieu, La Comédie Française redonne un époustouflant Misanthrope mis en scène par Clément Hervieu-Léger, une des visions les plus acérées de Molière. Il y a chez le metteur en scène une clarté dans le discours de Molière qui nous entraine toujours à la plus substantifique des moelles du comédien royal. On sait le fondateur de la troupe de la Comédie Française expert en comportements humains. Comme Verdi en son temps, il déclame en vers ses nombreuses passions humaines que le compositeur mettait en musique. Avec une acuité saisissante, rien des travers comme des hauteurs du comportement humain ne semble avoir échappé à l’auteur de tant de comédies humaines. Et Clément Hervieu-Léger n’a pas son pareil pour explorer cette pensée anthropologique et la rendre dans toute sa vérité actuelle.

Cela se vérifie encore avec une puissance particulière dans ce Misanthrope en costume d’époque. Epoque de l’époque de l’auditoire, comme Molière, en son temps, entendons, de nos jours. C’est ainsi, comme souvent dans cette adaptation, qui n’est que retour aux sources, que le message dépouillé du folklore nous interpelle aujourd’hui comme hier, par-delà les particularismes d’un temps, si tant est qu’on s’aveugle à croire qu’aujourd’hui il n’y a plus de cours à Versailles, quand elle s’est dispersée en autant de lieu de pouvoirs. Si les costumes sont d’aujourd’hui, la salle pourrait bien être d’hier. Si les vers sont d’hier, leur jeu est bien d’aujourd’hui. Et il nous faut ici tirer une révérence toute particulière à Loïc Corbery qui toujours sait rendre aux alexandrins le naturel d’une discussion commune.  Si la mise en scène n’a eu de cesse de jouer sur ce naturel d’un XXIème siècle au phrasé dix-septièmiste  et d’une gestuelle d’une sobriété plus contemporaine, c’est bien Alceste qui portait ce pont réussi entre deux époques, unissant un seul monde, celui de l’homme tant intérieur que social.

Détaché par force, dégouté par voix de conséquence, le Misanthrope chérit plus la vérité et l’amitié vraie qu’il ne hait le monde. Sa fuite ultime n’est pas tant le rejet des hommes que son incapacité à lui à vivre avec ces hommes qu’il aimerait tellement s’ils étaient, comme lui, amoureux de la vérité, hérauts de l’authenticité. Derrière cette répulsion du monde de ses semblables n’est-ce pas plutôt la peine que l’amour et la vérité ne soient pas aimés comme lui les aime qui le conduit au désespoir tragique d’une solitude dans laquelle Alceste ne cesse de s’enfoncer comme on remplit des douves ? La sobriété, un peu sombre du décor laisse toute la place au jeu de scène duquel, quoiqu’il fasse, Loïc Corbery se trouve toujours plus isolé bien qu’entouré.

Romain de La Tour

Spectacle vu le 26 mars 2019 – Kinepolis de Rouen

au Kinepolis les 31 mars et 1er Avril

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