Les 7 dernières paroles du Christ, un tremblement de terre sans séisme.

Malgré la déchristianisation du pays, les programmations musicales suivent toujours le tempo liturgique chrétien. Concerts de l’avent, de noël et chapelet d’œuvres en lien avec la passion du Christ dans le temps qui précède Pâques. Cette année, l’opéra de Rouen a choisi de présenter un des grands moments musicaux du genre, avec les 7 dernières paroles du Christ de Haydn. Une œuvre majeure à la croisée des chemins. Chemins spirituels bien entendu, chemins d’écriture musicale, chemin des genres musicaux. Spirituellement l’œuvre est une médiation. Précisément elle est la méditation du fervent Haydn sur cette page dramatique de la spiritualité chrétienne. Par sa partition, le maître joyeux nous livre sa propre relation au mystère de la mort du Christ. Et chose étonnante pour qui s’approche de des interlignes musicales, toute l’œuvre de l’introduction au tremblement de terre final est une respiration. Respiration du Christ en croix, respiration du fidèle haletant lui aussi face au drame. Mais de cette tension respiratoire se dégage, comme toujours chez Haydn, une forme de sérénité au cœur même de la tragédie messianique.

Pour autant, cette médiation reste une construction classique et à la différence d’un Christ au Mont des oliviers beethovenien, Haydn n’a pas pour ambition d’imposer sa vision de l’agonie christique. Et ce d’autant moins que l’œuvre était à l’origine destinée à scander la prédication de l’évêque de Cadix pour le Vendredi Saint. En ce sens, on peut trouver légitime l’intention des metteurs en scène, Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil, de déporter le cœur chrétien du message musical vers une médiation a ou inter religieuse, prenant le parti que le public puisse « comprendre sans analyse intellectuelle ». Etonnant chant lexical, oxymore à lui seul puisque comprendre et intellectuel se retrouvent dans leur définition propre pour « décrypter de l’intérieur, faire le tour d’une chose pour la cerner ». Ce que voulait sans doute la mise en scène se rapportait davantage à l’impression, au ressenti que nous aurions dû retrouver dans ces images d’un public filmé à Jérusalem en train d’écouter l’œuvre de Haydn. Mais soyons honnête, nous avons surtout vu défiler, avec de vraies longueurs, des personnes sans l’ombre d’une expression et visiblement plus gênées d’être filmées qu’emportées par l’émotion. Les textes qui entrecoupaient l’œuvre, tenant la place initiale du prédicateur, apportaient des éclairages variés qui, à la différence de l’intention annoncées, tendait plutôt à imposer une interprétation du mystère qu’à le proposer. Une interprétation bigarrée et sans unité. Peut-être était-ce là la manière de proposer en offrant différents visages.

Musicalement, nous avons eu plaisir à retrouver l’orchestre de l’opéra de Rouen. Une main pour le conduire a suffit à redonner toute sa force et sa qualité de jeu à l’ensemble de la phalange rouennaise. Pour autant, si l’exécution était propre et plaisante, il manqua de part en part cette respiration si emblématique de l’œuvre. Les notes s’enchaînaient sans vie. Les accents étaient plaqués sans âme. La démonstration musicale fut finalement agréablement plastique et les seuls reliefs se nichaient dans les nuances, laissant s’écouler une partition qui pourtant n’est que respiration. De forts beaux passages assurément, mais trop policés, s’achevant dans un tremblement de terre sans séisme.

Cyril Brun

Concert entendu le 15 mars 2019 – Théâtre des Arts, Rouen

Direction musicale Andreas Spering

Comédienne Marina Hands
Installation et vidéos Clarac-Deloeuil > le lab
Lumières Christophe Pitoiset
Prise de vues Julien Roques
Montage Jean-François Hautin
Conseiller littéraire pour la sélection des textes Luc Bourrousse

Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie