Louées soient-elles – Idéologiquement douteux, excentriquement ennuyeux.

Décidément la saison 2018/19 des maisons de production rouennaises sera placée sous le signe de la politique. Et aller au concert, au théâtre, pour se retrouver en meeting politique, qu’on partage ou non les convictions de l’auteur ou du metteur en scène, finit par être un rien pénible. L’art est engagé, on le sait et bien des auteurs du XIXème siècle se sont essayés, vainement, à écrire sur « rien ». Mais tout engagement n’est pas forcément tribune politique et plus elle l’est subtilement plus le message passe. C’est la force des grands maîtres dont malheureusement notre temps est en carence. Il semble donc que toutes les productions rouennaises, entre autres engagements, aient pris celui de la défense de la femme. Terrain glissant, on va, facilement, me taxer de macho, alors que je ne veux parler que d’art et de justesse, pour ne pas dire de justice. Il est heureux que des mises en scènes, des thématiques, nous rappellent que malgré les apparences et l’air du temps, l’égalité homme femme ne va pas toujours de soi et que même, par certains côtés, elle régresse, n’ayons pas peur de le dire. Il n’est pas inutile de rappeler que la condition de la femme n’a pas toujours été des plus enviables à travers l’histoire. Mais d’une part en faire le leitmotiv d’une saison devient indigeste pour qui suit l’ensemble des spectacles, et d’autre part, encore faut-il que l’idéologie ne devienne pas mensonge historique et contrefaçon aveuglée.

Nous avions déjà eu une interprétation très capillotractée de la place de la femme dans Butterfly, mais plaquer une conception de la vie du XXIème siècle pour comprendre une œuvre du XVIIème n’est ni plus ni moins qu’un anachronisme qui renverrait en seconde session un étudiant en histoire.  Ainsi prendre comme clef de lecture le très idéologique ouvrage de Catherine Clément, L’opéra ou la défaite de la femme, pour n’y voir que femmes oppressées, est un aveuglement à courte vue. D’une part c’est situer le drame d’histoires privées et amoureuses porteuses de sentiments propres en dehors du contexte qui intéressait les auteurs, à savoir les passions. D’autre part c’est occulter bien des compositions où la femme est victorieuse, puisqu’on veut, à tout prix, la mettre en conflit avec l’homme (n’est-ce pas l’objet de l’affiche du spectacle ?) Il me semble que dans la Vie parisienne, les femmes triomphent des hommes, tous bernés. Que dire de Falstaff ? Qui tient la dragée haute sinon Lady MacBeth ? Dans tellement d’opéra l’homme est montré faible et lâche, poussé par le seul courage de leur épouse ou maitresse. Quant à Carmen dont on fait la victime, n’est-elle pas l’artisan de sa propre destruction ? Le combat qui l’oppose à Don José n’est pas idéologique, elle l’a en son pouvoir par la passion qu’elle a suscité. Et ce n’est pas une société oppressante qui l’a condamnée, mais la douleur folle d’un homme blessée par le pouvoir d’une femme. Comment tenir le leitmotiv de la défaite des femmes face à Cosi fan Tutte, dont la partition mozartienne, malgré l’intention des commanditaires impose la victoire des femmes. Et enfin combien de servantes sont les grands génies par qui triomphe l’opéra ?

Bref défendons la femme, mais respectons la vérité et ne tirons pas l’histoire à soi, ne manipulons pas le public, au contraire donnons-lui accès à la vérité du beau. Le laid (en l’occurrence ici l’inégalité hommes femmes) n’en ressortira que plus violemment.

Que dire enfin de la mise en scène répétitive ? Sur un plateau tournant invariablement, les cinq femmes évoluaient aussi ennuyeusement que l’essai de motorisme bruyant qui servait d’intermède aux pièces choisies de Haendel pour composer des images de femmes dans leurs airs les plus tragiques, oubliant les femmes fortes, à poigne et dominantes. Les excès de transe mettaient-ils à l’honneur la femme ou leur donnait-elles le rôle pulsionnel de démons exorcisés ?

Heureusement dans un certain brouhaha épuisant, l’orchestre de l’opéra de Rouen nous servit une fort belle ouverture. Un orchestre propre au style baroque assumé, malgré de récurrentes lourdeurs sur les accents. Aude Extrémo, magnifique voix, charnelle et d’une grande présence dramatique, malgré des vocalises parfois essoufflées. Profonde mais très technique Yun Jung Choi qui nous offrit le plaisir d’une très belle qualité vocale, manquant peut-être de vie et d’expressivité. Enfin, regrettons que l’orchestre ait-été sonorisé donnant l’impression de venir au spectacle comme on écoute un CD, perdant ainsi toutes les richesses et subtilités que pourtant l’orchestre ce soir nous réservait.

Cyril Brun

Spectacle entendu le 26 février 2019 – Chapelle Corneille

Direction musicale Iñaki Encina Oyón

Mise en scène David Bobée & Corinne Meyniel
Dramaturgie Corinne Meyniel
Composition électroacoustique Marc Baron
Co-composition Felix Perdreau

Soprano Yun Jung Choi
Mezzo-soprano Aude Extremo
Artiste circassienne Elise Bjerkelund Reine
Artistes chorégraphiques Ella Ganga & Xiao Yi Liu

Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie

Co-poduction avec le CDN

Nos photos @Arnaud Bertereau

Vend maison grandes prestations proche de Rouen

Jumpstyle entre ballet et cirque, une étonnante découverte.

To Da Bone, jeudi 7 février 2018 – 20 heures, Théâtre de la Foudre – CDN – conception et mise en scène (La)Horde

Etonnant ? Epoustouflant ? Essoufflant ça c’est certain ! Cela vaut tous les cardio training assurément ! C’est humain, lorsqu’on découvre, quand on est dérouté, on cherche spontanément à se raccrocher à du connu. Pour mieux suivre ? Pour tenter de mieux s’amarrer au flot tonitruant qui nous submerge ? Pour entrer dans ce qui est un peu un mystère du tempo ? Cela va vite, très vite parfois. Et l’ensemble de la dizaine de jeunes réglés comme un ballet russe n’en est que plus époustouflant.

Le jumpstyle, né il y a une petite vingtaine d’années dans les clubs belges et hollandais, s’est érigé en communauté, s’est affiné, développé grâce aux réseaux sociaux permettant aux jeunes, souvent isolés de pratiquer avec d’autres cette danse dont le spectacle To Da Done nous raconte l’histoire en forme de démonstration spectaculaire. La fougue, l’énergie, l’agressivité canalisée dans un ballet harmonieux et incroyablement huilé font de ce pas de danse décliné de cent façons une fusion du ballet et du cirque, comme si les trapézistes surfaient en corps de ballet. Sur un ostinato dense et soutenu du chœur, se dégagent à tour de rôle des solistes donnant leur propre pas dans la cadence des autres. Tantôt anguleux et violent, parfois doux et gracieux, la précision est toujours de rigueur.

Un spectacle sans pareil, c’est certain, où l’individualité se met au service de la communauté sans pour autant disparaitre, en témoigne les disputes sur l’origine du Oldschool ou encore la mise en scène qui prend le temps de présenter un par un chacun des jeunes européens dansant sur scène ainsi que leur histoire avec le jumpstyle.

Ça secoue, ça dérouille, mais ça prend à l’âme parce que le cœur perce dans cette danse endiablée au sens le plus littéral.

Pour autant et pour peut-être mieux livrer ce mystérieux pas indicible par des mots, Cyril Brun, qui était à mes côtés ce soir, me disait : « Je crois que ce ne serait pas iconoclaste de mettre en scène La vie parisienne d’Offenbach avec du Jumpstyle ».

Romain de La Tour

notre photo ©Laurent-Philippe