Ce fut probablement une soirée inattendue pour une grande partie du public. D’ailleurs ma voisine est repartie mi-figue mi-raisin, un rien boudeuse, de ce qu’elle a ressenti comme un iconoclasme dans le saint des saints des Arts classiques de Rouen. Il n’empêche, la salle était surchauffée pour un spectacle qui s’acheva sous un tonnerre d’applaudissement. Venir à l’opéra pour se retrouver dans une ambiance digne de l’Olympia ou du Zenith a de quoi décontenancer, reconnaissons-le. Pourtant le glissement du ballet classique à la scène grand show s’est réalisé avec le naturel du talent et du comique.
Installés sur les velours rouges de l’amphithéâtre, le public sagement attentif, a pu se laisser toucher par le très beau « ballet du sabre », cette « Petite mort », du chorégraphe Jiri Kylian, sur deux extraits de concertos pour piano de Mozart. Cependant, déjà dans ce premier ballet, quelque chose de différent, de moins habituel nous intrigue. Exécution impeccable, à deux ou trois discrets piétinements près, ce n’est pas la grâce qui faisait l’unité attendue du ballet, mais la souple massivité des danseurs qui donnèrent, hommes comme femmes, une assise puissante, comme émanant des sabres eux-mêmes. Ce qui aurait pu sembler déconcertante lourdeur, se faisait surgissement charnel. Au ballet habituellement léger et presque séraphique s’est imposé, l’incarnation charnelle d’une puissante humanité. Cependant, les membres plus jetés que mis en mouvement tenaient plus du gymnaste que du danseur. Mais peut-être était-ce volontaire, comme appui de cette masse virile en mouvement.
Mêmes impressions pour la chorégraphie de Béjart, « le chant du compagnon errant », sur un lieder de Mahler. Duo massif de deux hommes, comme l’animation irréelle de statues antiques, laissant, outre le talent des danseurs, une place aux expressions du visage. Le Ballet de l’opéra de Bordeaux nous rappelle subitement que la danse, perçue comme ce jeu de corps souples et enchanteurs, c’est aussi un spectacle d’acteurs.
C’est bien ce surgissement personnalisé de l’anonyme d’un ballet réglé qui fit le succès de la troisième partie. Danseurs, acteurs, comiques, la troupe s’est livré à un spectacle complet d’un tout autre genre. Sur une chorégraphie d’Ohad Naharin, c’est un véritable show de ballet qui enthousiasma le public. Qualité de danseur, révélation de comique, jeux d’acteur, le ballet « petits pas » s’est métamorphosé en chorégraphie contemporaine, sur base classique. Un mélange étonnant, qui parfois semblait brouillon, tel l’impro d’un rap de banlieue ou comme dans une boite de nuit, mais qui se récupérait toujours dans un ensemble réglé qui n’était pas sans rappeler le Jumpstyle.
Cyril Brun
Spectacle vue le 8 mars 2019 – 20 heures – Théâtre des Arts
Ballet de l’Opéra National de Bordeaux
Felice Barra, Natalia Butragueño, Emilie Cerruti, Kase Craig, Marini Da Silva Vianna, Guillaume Debut, Vanessa Feuillatte, Anna Guého, Marina Guizien, Ryota Hasegawa, Marina Kudryashova, Diane Le Floc’h, Alice Leloup, Austin Lui, Roman Mikhalev, Nicole Muratov, Alvaro Rodriguez Piñera, Oleg Rogachev, Neven Ritmanic, Perle Vilette, Marc Emmanuel Zanoli
