Quel avenir pour la statue de Napoléon ?

QUEL AVENIR POUR LA STATUE DE NAPOLÉON ? LES AMIS DES MONUMENTS ROUENNAIS CONTRIBUENT AU DÉBAT

   Il y a un mois, le Maire de Rouen Nicolas Mayer-Rossignol lançait l’idée de remplacer la statue équestre de Napoléon ornant la place de l’hôtel de ville et provisoirement déposée pour restauration par une statue féminine, celle, proposait-il, de Gisèle Halimi « figure de la lutte pour le droit des femmes ». Si l’annonce relevait en partie de la « com », c’est sans doute un succès puisque la presse nationale et les grandes chaînes de télévision ont fait écho à ce projet assurément clivant ; mais elles ont montré aussi qu’il ne faisait nullement l’unanimité, voire qu’il choquait profondément nombre de Rouennais et, plus généralement, de Français qui, par divers canaux, ont exprimé leur désaccord.  Par-delà des oppositions qu’on pourra parfois juger partisanes, les Amis des Monuments Rouennais, association statutairement apolitique luttant seulement pour la sauvegarde du patrimoine de notre ville, ont d’emblée exprimé un avis raisonné qu’ils remercient Rouen-sur-Scène de pouvoir plus largement diffuser, avant les rappels historiques et les propositions concrètes qui suivront.

   Comme ils l’ont précisé dès le 12 septembre dernier dans une lettre au Maire de Rouen, les AMR  en tant que tels n’ont rien à objecter au désir municipal d’ « étendre la place des Femmes dans l’espace public » en honorant par une statue nouvelle ou par une dénomination de rues telles ou telles personnalités féminines, qu’ils souhaiteraient seulement liées à la Normandie. Mais  faut-il pour cela que la statue envisagée prenne la place d’une grande figure historique à la notoriété incomparable, et d’un monument qui, depuis plus d’un siècle et demi, fait partie intégrante de notre patrimoine ? Il est bien d’autres sites dans notre ville où une statue nouvelle trouverait dignement sa place : par exemple face au Musée dans le square Verdrel d’où partira bientôt le mobile de Calder ; dans les Allées Delacroix près du Palais de Justice, ce qui aurait un sens ; et pourquoi pas dans le quartier Flaubert dont les rues auront toutes un nom de femme ?

   Vouloir à toute force que cette statue nouvelle remplace celle de Napoléon, c’est oublier d’abord qu’il faudrait enlever aussi l’énorme socle de cette dernière, orné de références impériales : en a-t-on mesuré le coût ? Mais c’est surtout l’intention symbolique qui paraît contestable : chasser la statue de Napoléon de la place de l’hôtel de ville, c’est, qu’on le veuille ou non, renier notre passé et donner l’impression qu’on approuve les tenants d’une cancel culture rêvant de déboulonnage  qui avaient barbouillé le monument. Quoi qu’on puisse reprocher à Napoléon, c’est à lui que l’on doit les structures de la France moderne, et c’est précisément ce que rappellent les plaques de bronze ornant le socle de sa statue : Code civil, Légion d’honneur, Industrie nationale… C’est cela que la Ville de Rouen avait voulu retenir de lui.  Sans doute nous propose-t-on une autre implantation. Mais outre le coût élevé d’un tel déménagement, il n’en reste pas moins que cette éviction équivaudrait à un déclassement et que le site suggéré, la pointe de l’Ile Lacroix, d’accès piétons très incommode, ressemblerait à un nouvel exil, après l’Ile d’Elbe et Sainte-Hélène !

  Non, décidément, un monument aussi patrimonial, conçu pour son emplacement actuel face aux bâtiments abbatiaux dont Napoléon fit notre hôtel de ville, en haut de la voie nouvelle (aujourd’hui rue de la République) dont il décida le percement, ne saurait être un simple enjeu dans une relecture polémique de notre Histoire. Et combien son déplacement serait mal venu alors qu’un peu partout en France on commémore officiellement la mort de Napoléon il y a deux cents ans !  La Mairie nous annonce ( https:/rouen.fr/femme-espace-public) une concertation avant une « votation citoyenne » sur le sujet. Ne manquez pas de vous informer et finalement de voter.

Et dans l’immédiat, rejoignez, si vous le souhaitez, la pétition ci-jointe lancée par les AMR.

Livre – Les églises et chapelles de Rouen

Églises et chapelles de Rouen. Un patrimoine à (re)découvrir, s/dir. J.-P. et N.-J.Chaline, Cahiers des Monuments rouennais 10, Les Amis des Monuments rouennais, Rouen 2017, 252 p., 35 €.

L’intérieur lumineux de l’église Saint-Romain manifeste en couverture l’intention des auteurs : faire redécouvrir des édifices religieux peu ou mal connus, occultés par la notoriété des plus prestigieux, cathédrale Notre-Dame, abbatiale Saint-Ouen, église Saint-Maclou.
« Que reste-t-il des « cent clochers » ? » suite aux vicissitudes subies au cours du temps : vétusté, incendies, destructions sous la Révolution et durant la Seconde Guerre mondiale, églises sacrifiées aux plans d’urbanisme ou vendues, encore récemment, bouleversement de la géographie des paroisses à plusieurs reprises, évolution de la pastorale. Si de certains édifices il n’est que des restes discrets, d’autres ont bénéficié de restaurations, agrandissements et embellissements. Des reconversions réussies en ont sauvés, telle l’église Saint-Laurent, bijou du gothique flamboyant, devenue musée.
Rouen, cité gothique par excellence, possède aussi des témoins superbes des siècles classiques : église Saint-Louis du collège des jésuites (Chapelle Corneille), église néo-classique de la Madeleine, chapelle de l’Hospice général (hôpital Charles-Nicolle), église Saint-Romain d’inspiration baroque.
L’augmentation de la population au XIXe siècle suscite des constructions nombreuses souvent de style « Renaissance » (Saint-Sever) ou néo-roman (Pensionnat Jean-Baptiste de la Salle). L’essor urbain de l’Entre-deux guerres puis des Trente Glorieuses, entraîne dans les quartiers périphériques la construction d’églises nouvelles, que ce livre a le mérite de faire découvrir.
Les ensembles de vitraux de Saint-Ouen, Saint-Godard, Saint-Patrice, Saint-Vivien, Sainte-Jeanne d’Arc sont les témoins d’une tradition verrière d’excellence à Rouen du XVIe au XIXe siècle. De belles photos permettent d’admirer les plus célèbres : au triomphe de Marie du vitrail des chars à Jeanne-d’Arc on comparera le triomphe du Christ à Saint-Patrice, tandis qu’à Saint-Godard à l’arbre de Jessé marial du XVIe siècle (témoin de la dévotion à Marie immaculée) fait face le vitrail du XIXe illustrant la proclamation du dogme de l’Immaculée Conception.
L’emploi de technologies innovantes et de matériaux tels que la fonte de fer pour la flèche de la cathédrale, la charpente métallique de Saint-Jean de la Salle (rive gauche), la brique et le béton armé à Saint-Jean-Eudes dont la coupole rivalise avec celle à claire-voie de Saint-Nicaise, le béton pour le clocher élancé de Saint-François d’Assise, sont autant de réalisations d’un art sacré contemporain, comme les décors de mosaïque et les peintures, telle la vaste fresque de Maurice Denis dans la discrète chapelle des franciscains.
La modernité est inscrite au cœur de la ville quand, au lieu même du supplice de Jeanne, marqué par la statue offerte par Andrea Real del Sarte, l’église Saint-Vincent-Sainte-Jeanne d’Arc est inaugurée en 1979. Mémorial, sanctuaire lumineux où sont enchâssés les splendides vitraux de l’église Saint-Vincent détruite et Vieux Marché forment l’ensemble architectural remarquable conçu par Louis Arretche ; il allie pureté absolue du plan, harmonie des volumes, usage du béton, du bois et des ardoises.
Mais l’art religieux n’a de sens qu’au service de la foi et de la spiritualité. Dans son unité et sa beauté magnifiquement restaurée, l’église du collège des jésuites (certes reconvertie pour un usage culturel) en est un parfait exemple : ouverte à tous, outre les élèves, « l’église entière est conçue comme un véritable ouvrage de spiritualité » en vue de l’éducation et de l’élévation spirituelle des fidèles. Églises et chapelles témoignent de la foi, des dévotions dans leur permanence et leurs évolutions : dévotion à Marie depuis le Moyen Âge, au Saint-Sacrement à partir du XVIIe siècle, au Sacré-Cœur au XIXe, à Jeanne d’Arc enfin vénérée comme héroïne nationale et comme sainte à l’issue de la Grande Guerre.
Tous ces aspects et bien d’autres passionneront le lecteur de ce beau livre, incité à aller voir ou revoir ces édifices dont on ne peut que souhaiter l’ouverture la plus large possible et le nécessaire entretien. Les monographies de la troisième partie sont de vrais guides de visite, montrant, à travers une iconographie soigneusement choisie, ces tableaux, retables, éléments de décor que « l’on n’avait jamais remarqués » ! La première et la deuxième partie fournissent les clefs pour comprendre un riche patrimoine que l’on n’a pas fini d’admirer.

Françoise Thelamon

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