Théâtre à l’Ouest – J’aime beaucoup ce que vous faites -20 au 24 octobre

Vaudeville des temps contemporains, si l’on excepte la bonne, la femme trompée et le mari jaloux entretenu par des quiproquo en cascade, l’esprit y est cependant. Le malentendu de situation est remplacé par le non dit. Le non-dit de ce que pense le couple d’invités qui ne dit rien mais n’en pense pas moins. Le non-dit du couple des hôtes qui sans dire le non-dit qu’il sait, ne cesse de laisser à penser que le non-dit n’est pas seulement pensé !

Vous avez suivi ? Parfait, vous allez pouvoir être les témoins complices de ce week-end entre “amis”, parce que, comme le couple provincial que vous êtes, vous aussi, vous avez entendu le long message répondeur laissé par vos invités après avoir … mal raccroché leur téléphone !

Ils arrivent le sourire aux lèvres, comme de vieux compères chez vous et, derrière les sourires appuyés, vous savez.. ce qu’ils pensent de vous !

Comment réagir ? Les renvoyer ? Baisser l’échine et faire bonne figure ? Ou… vous payez leur tête de sous-entendus qui vont les mettre de plus en plus mal à l’aide !

A vous de voir ! C’est au Théâtre à L’ouest du 20 au 24 octobre

Et n’oubliez pas … désormais le théâtre à l’Ouest, les soirs de spectacle c’est aussi un bar restaurant !

Le Bourgeois-gentilhomme, comédie philosophique sur mesure

L’orgueil qui éblouit aveugle

La rareté d’une pièce classique sur l’agglomération rouennaise (voir notre agenda p.) nous offre l’occasion de scruter cette œuvre ô combien célèbre que Molière créa, avec Jean-Baptiste Lully, au château de Chambord, le 14 octobre 1670, pour répondre à la volonté du roi soleil de rendre l’humiliation à l’humiliant ambassadeur du Grand Truc. Le contexte est doublement particulier. Un an plus tôt, le roi recevait l’ambassadeur du sultan de l’empire Ottoman. Les fastes furent d’un éblouissement extraordinaire que ridiculisa l’ambassadeur, prétendant que chez lui son cheval était plus richement orné que ce qu’il avait vu à Versailles. Qu’à cela ne tienne, le roi entend ridiculiser le Turc et Molière saute sur l’occasion d’une turquerie. La mode en effet est à ce divertissement, à cette curiosité orientale qui intrigue. Pour autant, l’exotisme sultanesque n’arrive qu’à l’extrême fin de la pièce, tel le couronnement ridicule de toute l’intrigue, comme nous l’expose Romain de La Tour.

« Le devoir de la comédie étant de corriger les hommes en les divertissant, j’ai cru que, dans l’emploi Àoù je me trouve, je n’avais rien de mieux à faire que d’attaquer par des peintures ridicules les vices de mon siècle. » Ces mots, par lesquels Molière présente le Tartuffe, s’applique à l’ensemble de son œuvre et donne le ton de ce Bourgeois-gentilhomme tout autant que du tartuffe. Et pour parvenir à ses fins, Molière s’emploie à écrire avec Lully une comédie-ballet. Une parmi d’autres de la collaboration parfois houleuse entre ces deux talents du Grand-siècle. Si la moquerie ultime retombe sur les Turcs, le ridicule qui traverse toute la pièce sous une myriade de parements littéraires, scéniques ou musicaux n’a qu’un seul bouffon que les deux maîtres s’ingénient à bastonner, l’orgueil. À l’énoncé du titre de la pièce les aristocrates ont voulu la faire interdire craignant d’être à nouveau rossés et les premières furent mollement accueillies, jusqu’au satisfecit total du roi qui sut apprécier. C’est que l’intrigue ne s’en prend ni aux bourgeois, ni aux gentilshommes, mais au tiret qui les lie ou les sépare comme deux hémistiches en chiens de faïence. Monsieur Jourdain n’est pas ridicule d’être niais ou naïf ou encore ballot, il se rend ridicule lui-même par son aveuglement. Cet aveuglement particulier que procure l’éblouissement. Une lumière éclaire. Mais ce qui éblouit aveugle. Aussi est-ce un travers très particulier que Molière épingle sur scène, comme Socrate eut voulu avertir Glaucon. C’est à un maître vice que le comédien offre le premier rôle de sa pièce. L’orgueil est ici l’acteur principal, le metteur en scène, tout autant que l’écrivain. Si Monsieur Jourdain est une caricature destinée à divertir, le costume qu’il revêt prend bien les mille et mille parures universelles de cet orgueil dont nous portons, soyons honnêtes, de bien scintillantes pierreries, tout aussi éblouissantes que la lubie de notre bourgeois se voulant faire gentilhomme. S’il existe une panoplie incroyablement variée des formes d’orgueil, Molière nous donne à voir leur trait commun brocardé sous les traits de cette grenouille qui se veut faire aussi grosse que le bœuf. L’orgueil est avant tout une duperie qui nous faire revêtir des habits pour cacher notre vérité propre au monde. L’orgueil est, en son ultime fondement, une honte, un refus de soi. C’est ce que notre homme cache sous une illusion de transformation, où le paraître oublie l’être. De proche en proche cette mystification lui donne le sentiment de ce qu’il refuse de ne pas être et ce faisant, il donne à vivre à sa baudruche, laissant dépérir sa vérité. Quittant le réel, refusant le monde tel qu’il est, il s’aveugle sur lui comme sur les autres, persuadé que tous sont dupes de sa propre duperie. Mais la morale de cette fable humaine est peut-être dans l’illusion ultime qui enferme tous les orgueilleux, persuadés que nous sommes de ne pas être démasqués, quand ce vice défigurant, nous présente au monde parés de ces atours ridicules du bourgeois-gentilhomme.

Romain de La Tour

L’envers du décor au CDN – Il cielo on è un fondale

Sobriété efficace, silence captivant, italien charmeur, discours sans fioriture, tout se conjugue comme un zoom de lumière sans cesse pointé sur le contenu du texte. Pour qui parle l’italien, il est évident que le texte ne cherche pas à être celui de Dante, mais à rendre saillant l’idée qu’il porte, comme soutenue au-dessus d’un abime, celui qui emplit de vide le décor et l’envers du décor, la vie vécue et les vies rêvées, comme si le présent n’était que le pont entre hier déjà lointain et demain qui ne fait que recommencer.

De l’autre côté du succès, l’échec, au revers de la santé, la blessure, derrière la porte du paraitre, la nudité de l’être. Autant de réalités ambivalences de nos vies, de quatre vies, celles des deux hommes et deux femmes qui se racontent, se livrent, où pensent à haute voix leurs existences. Les anecdotes sont banales, si ordinaires que nous les avons tous vécues sous un mode ou un autre. On pourrait croire à la vacuité de phrases échangées sur un banc avec un passant inconnu, de celles qu’on dit pour meubler, de celles que, parce qu’elles nous disent, on ne laisse qu’anonymement à un étranger plus qu’à un proche.

Une vaste réflexion sur la vie avec les mots de la vie ordinaire pour dire les maux et silences ordinaires. Pas de grandes tirades freudiennes, pas d’appel à Nietzche ou Kant, justes des banalités en forme de point d’interrogation, des silences comme esquisses de réponses, des situations croisées comme éclairages mutuels.

Il Cielo non è un fondale (le ciel n’est pas une toile de fond), pose avec une économie de moyens efficace la question de ce moi boursoufflé qui nous occupe tant, de ce qu’il montre et de tout ce qu’il cache derrière le décor. Quelques traits d’humour italien, des regards lancés vers le public pour qu’il s’approprie la question et une salle captivée qui repart à n’en pas douter avec derrière sa propre toile de fond, les interrogations que la troupe lui a comme inoculée pendant plus d’une heure.

Spectacle vu le 27 avril 2019

Romain de La Tour.

© Claudia Pajewski

un spectacle de Daria Deflorian et Antonio Tagliarini
avec Francesco Alberici, Daria Deflorian, Monica Demuru et Antonio Tagliarini
collaboration au projet Francesco Alberici et Monica Demuru
le texte sur Jack London est de Attilio Scarpellini
assistant à la mise en scène Davide Grillo
lumières Gianni Staropoli
costumes Metella Raboni
construction du décor Atelier du Théâtre de Vidy
direction technique Giulia Pastore
accompagnement et diffusion international Francesca Corona / L’Officina
organisation Anna Damiani

Le misanthrope, ou l’ode à la sincérité

Sur les écrans en ce moment, ou dans la prestigieuse salle Richelieu, La Comédie Française redonne un époustouflant Misanthrope mis en scène par Clément Hervieu-Léger, une des visions les plus acérées de Molière. Il y a chez le metteur en scène une clarté dans le discours de Molière qui nous entraine toujours à la plus substantifique des moelles du comédien royal. On sait le fondateur de la troupe de la Comédie Française expert en comportements humains. Comme Verdi en son temps, il déclame en vers ses nombreuses passions humaines que le compositeur mettait en musique. Avec une acuité saisissante, rien des travers comme des hauteurs du comportement humain ne semble avoir échappé à l’auteur de tant de comédies humaines. Et Clément Hervieu-Léger n’a pas son pareil pour explorer cette pensée anthropologique et la rendre dans toute sa vérité actuelle.

Cela se vérifie encore avec une puissance particulière dans ce Misanthrope en costume d’époque. Epoque de l’époque de l’auditoire, comme Molière, en son temps, entendons, de nos jours. C’est ainsi, comme souvent dans cette adaptation, qui n’est que retour aux sources, que le message dépouillé du folklore nous interpelle aujourd’hui comme hier, par-delà les particularismes d’un temps, si tant est qu’on s’aveugle à croire qu’aujourd’hui il n’y a plus de cours à Versailles, quand elle s’est dispersée en autant de lieu de pouvoirs. Si les costumes sont d’aujourd’hui, la salle pourrait bien être d’hier. Si les vers sont d’hier, leur jeu est bien d’aujourd’hui. Et il nous faut ici tirer une révérence toute particulière à Loïc Corbery qui toujours sait rendre aux alexandrins le naturel d’une discussion commune.  Si la mise en scène n’a eu de cesse de jouer sur ce naturel d’un XXIème siècle au phrasé dix-septièmiste  et d’une gestuelle d’une sobriété plus contemporaine, c’est bien Alceste qui portait ce pont réussi entre deux époques, unissant un seul monde, celui de l’homme tant intérieur que social.

Détaché par force, dégouté par voix de conséquence, le Misanthrope chérit plus la vérité et l’amitié vraie qu’il ne hait le monde. Sa fuite ultime n’est pas tant le rejet des hommes que son incapacité à lui à vivre avec ces hommes qu’il aimerait tellement s’ils étaient, comme lui, amoureux de la vérité, hérauts de l’authenticité. Derrière cette répulsion du monde de ses semblables n’est-ce pas plutôt la peine que l’amour et la vérité ne soient pas aimés comme lui les aime qui le conduit au désespoir tragique d’une solitude dans laquelle Alceste ne cesse de s’enfoncer comme on remplit des douves ? La sobriété, un peu sombre du décor laisse toute la place au jeu de scène duquel, quoiqu’il fasse, Loïc Corbery se trouve toujours plus isolé bien qu’entouré.

Romain de La Tour

Spectacle vu le 26 mars 2019 – Kinepolis de Rouen

au Kinepolis les 31 mars et 1er Avril

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Victor Hugo – Un tyran de Padoue excentriquement épuisant

L’étincelle, Chapelle Saint-Louis – vendredi 15 février 2019 – 15 heures.

Dans le cadre des esquisses, ces moments de théâtre encore en construction, avant une grande représentation, comme pour tester le public, l’Etincelle recevait la Compagnie de la 6ème heure pour une version moderne et réduite de Angelo, Tyran de Padoue, une pièce parmi les plus originales de Victor Hugo. Choisie probablement pour répondre à l’un des axes annoncés de la saison de l’Etincelle, la place des femmes, la pièce met en scène tout autant deux visages de la femme, en miroir ou en symbiose, selon les angles de vues que leur vulnérabilité dans une société qui concédait une place surdimensionnée peut-être à l’homme. Pour autant cette vulnérabilité est elle-même ambivalente et les deux femmes, l’épouse comme la maîtresse, se tirent très bien des chausse-trappes de leur sexe tenant le haut de la scène en maîtresses du drame, face aux pions craintifs, jaloux ou amoureux du sexe dit fort.

Adaptée au goût du jour dans une mise en scène rendue contemporaine, le texte de Victor Hugo garde toute la puissance de son génie. Remarquablement déclamé et joué par l’ensemble des acteurs, le style excentrique d’Angelo, de sa maîtresse la Tisbe et un rien hystérique de Catarina, en plus d’être épuisant tendait à gommer la mise en abyme des deux femmes, également sans retenue ni contenance, parfois jusqu’au vulgaire, laissant de l’amour chaste de l’épouse pour Rodolfo, le sentiment d’une passion violente et compulsive, bien loin du texte.

Romain de La Tour

Avec : Rémi Dessenoix, Charlotte Ravinet, Romain Tamisier, Taya Skorokhodova, Augustin Roy, Julie Bouriche (mise en scène),

Une troupe à découvrir a-bso-lu-ment.

Le Bourgeois-gentilhomme – Théâtre L’Echo du Robec, Darnetal –

Représentation vue le 2 décembre 2018.

Nous regrettons souvent le peu de pièces classiques données à Rouen, mais il est un théâtre d’une exceptionnelle qualité, trop peu connu des Rouennais. Une troupe aux arts complets. Danse, chant, jeux de scène, interprétation pour grand effet garanti avec de sobres moyens. La pièce de Molière est admirablement servie en tous points par de talentueux comédiens qui ont assurément plaisir à jouer.

Romain de La Tour

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