Rouen – Les trois passages de Napoléon

Dans le cadre de l’émotion et des débats suscités par la volonté de la mairie de Rouen de ne pas replacer la statue équestre de Napoléon Ier sur son socle, les Amis des Monuments Rouennais nous font l’amitié de nous exposer les enjeux de cette décision et de la consultation publique qui aura lieu

   1802 : c’est un Premier Consul triomphant qui fait visite à Rouen. Ne vient-il pas en peu de temps, avec des réformes administratives (les préfets), financières (le célèbre franc germinal) puis, avec le Concordat signé avec le pape, de mettre fin aux désordres que la Révolution n’avait pas réussi à surmonter ? Et plus encore, vainqueur déjà des Autrichiens, n’a-t-il pas mis fin à dix ans de guerre franco-anglaise par la Paix d’Amiens ? La Normandie en est la grande bénéficiaire, pouvant enfin reprendre une activité maritime et importer d’Amérique le coton nécessaire à son industrie naissante. Aussi l’accueil, savamment orchestré par l’actif préfet Beugnot, est-il enthousiaste à Rouen où le héros, reçu par une entrée royale, fera une visite très appréciée aux premières usines textiles qu’il souhaite encourager. Pleine réussite, donc, accompagnée de mesures durables comme l’ouverture précoce d’un lycée ou la reconstitution de la Chambre de commerce. Pleine satisfaction aussi du visiteur qui écrit à son frère : « Je suis aussi content de Rouen que de Lyon…J’aime vraiment cette belle, bonne Normandie ». Et n’oublions pas la célèbre phrase prononcée à cette occasion ; «  Paris, Rouen et Le Havre ne sont qu’une seule ville dont la Seine est la grande rue »…

    1810 : L’empereur revient à Rouen avec sa nouvelle épouse Marie-Louise. Réception fastueuse à nouveau mais l’ambiance est tout autre : la guerre, même victorieuse sur le continent, a ramené le blocus de nos côtes par la flotte anglaise, ce qui ruine les ports  et prive l’industrie du coton de sa matière première. Le régime, devenu très autoritaire, les impôts et une conscription alourdie ajoutent au mécontentement. C’est pourquoi Napoléon, pour y remédier, lance un programme de grands travaux pour moderniser une ville restée très archaïque : enfin un pont de pierre et, dans son prolongement, une grande percée nord-sud, tandis qu’on reconstruira les quais de rive droite. Beau projet que, les défaites militaires et la chute de l’Empire ne permettront de réaliser que bien plus tard, le pont en 1829 et la rue Impériale (aujourd’hui rue de la République) que sous Napoléon III !

Plan d’urbanisme de Rouen en 1810

   Alors qu’après 1815 la paix revient durablement sous une monarchie restaurée et que Rouen connait une réelle prospérité grâce à l’industrie cotonnière, l’opinion, elle, ne tarde pas à se lasser  d’un nouveau régime bien terne à côté du souvenir embelli des gloires impériales. La lecture du Mémorial de Sainte-Hélène et l’image du héros mort là-bas en exil enflamment les imaginations. C’est conscient de ces rêves que Thiers, ministre de Louis-Philippe, suggère d’organiser un grand   retour des Cendres de Napoléon, espérant que le prestige en rejaillira sur le pouvoir en place.

   1840 : C’est l’un des fils du roi des Français, le prince de Joinville, qui est chargé de ramener, sur la frégate La Belle Poule,  le cercueil de l’empereur. Le navire le débarque à Cherbourg, sur un bateau de moindre tonnage qui remontera la Seine. Mais un nouveau transbordement s’impose, au Val-de-la Haye, sur un vapeur fluvial, La Dorade, transformé en nef funéraire. Avant Paris, un seul arrêt, à Rouen. C’est le 10 décembre. Toute la ville est sur les quais. Du pont suspendu décoré en arc de triomphe pend une immense croix de la Légion d’honneur. Sur les deux rives, des obélisques rappellent les victoires impériales. Le canon salue l’arrivée du convoi funèbre qui lentement traverse une ville recueillie et fait halte un moment. Alors la ferveur contenue éclate, tandis que résonnent les tambours et les cloches. « Tous les yeux, écrit le Journal de Rouen, étaient fixés sur cette frêle barque portant sur son avant celui qui, pendant sa vie, remplit le monde de son nom et de ses exploits »…  Brève visite, mais la plus intense : Napoléon n’est pas encore aux Invalides, mais pour tous les Rouennais, il vient d’entrer dans l’immortalité. Et c’est dans ce souvenir que 25 ans plus tard ils élèveront sa statue.

Jean-Pierre Chaline

Si vous souhaitez souhaitez l’action des Amis des Monuments Rouennais (AMR) en faveur du maintien de la statue équestre de Napoléon à Rouen une pétition est disponible sur ce lien

Notre illustration, le passage des cendres en 1840

Flaubert dans sa ville. Hommages et dénominations

Si Flaubert disait pis que pendre des Rouennais, ceux-ci, pour la plupart, jugeaient sévèrement ce « mâqueux », fils de famille dilapidant son bien pour écrire des pages dont ils ne retenaient que l’aura de scandale… A l’enterrement de l’écrivain, le 11 mai 1880, Zola constate amèrement qu’ « on n’aurait peut-être pas compté deux cents Rouennais dans le maigre cortège…Beaucoup ne savaient même pas quel était le mort qui passait…La vérité doit être que  Flaubert, la veille de sa mort, était inconnu des quatre cinquièmes de Rouen et détesté de l’autre cinquième…». La tombe, au Cimetière Monumental, traduit bien la place modeste accordée au grand romancier ; au pied de celle de ses parents et surtout de son père, le chirurgien Achille Cléophas Flaubert, une stèle d’enfant, comme celle de sa jeune sœur Caroline. C’est à ce père, très respecté de ses concitoyens, qu’on dédiera en 1867 une rue longeant l’Hôtel-Dieu où il avait exercé : rue Flaubert qui longtemps servira de prétexte au refus de dénommer une autre voie du nom de son fils. C’est seulement au XXe siècle qu’on se décidera à rebaptiser « avenue Gustave Flaubert » l’ancienne « rue de Crosne hors-ville », l’autre voie devenant plus précisément « rue Achille Flaubert » !

     La « statuomanie » du XIXe siècle  avait cependant précédé cette dénomination. Dès 1890, avait été inauguré, dans le square Solférino (aujourd’hui Verdrel), un bas-relief de marbre blanc  commandé par souscription au sculpteur Chapu. On y voyait La Vérité sortant du puits, une allégorie dont le réalisme, propre à susciter des interprétations moqueuses, rendait un peu équivoque  le médaillon de Gustave Flaubert semblant lorgner la scène … Nettement plus réussie devait être, en 1907, la statue en bronze par Bernstamm, financée là encore par un comité parisien et érigée d’abord au pied de l’ancienne église Saint-Laurent. Envoyée à la fonte sous l’Occupation, elle devait être refaite après la guerre et dressée place des Carmes. L’artiste a su donner de l’écrivain une image qu’on gardera de lui.

    Cette même année 1907 voit naître enfin à Rouen une Société des Amis de Flaubert, fondée par l’écrivain normand Jean Revel. Attachée notamment à la sauvegarde du pavillon de Croisset, elle sera rénovée en 1948, avec siège au Musée Flaubert de l’Hôtel-Dieu. Lui succèderont en 1991 des Amis de Flaubert et de Maupassant, associant dans leurs études ces deux auteurs si proches.

   Ajouterons-nous enfin, hommage tardif de la Ville, la dénomination d’un Lycée  Gustave Flaubert et celle, en 2006, du pont Flaubert, qui honore l’écrivain au même titre que Jeanne d’Arc, Corneille ou Guillaume le Conquérant ? Le grand Gustave aurait trouvé cela « hénaurme ».

                                                                                            Jean-PIerre Chaline

Illustration notre couverture du magazine de septembre dont est tiré cet article

Un bilan de compétences à domicile c’est possible

Rouen – Des rues pour honorer les peintres ?

Rouen a vu naître de grands peintres et en a inspiré beaucoup d’autres. Ont-ils pour autant la place qu’ils méritent dans le choix des noms de rues ? Tout bien compté, on n’atteint pas vingt mentions de tels artistes – moins que pour les musiciens – sur un total de quelque 950 voies urbaines. Et en les cherchant sur un plan de Rouen, on constate qu’au moins 7 ne correspondent qu’à des rues minuscules et que les 2/3 se situent dans les faubourgs, la rive gauche en étant singulièrement dépourvue. 5 seulement sont en centre-ville, et pas toujours dans les plus beaux quartiers : si Restout, peintre du XVIIIe siècle, est honoré d’une place près de Saint-Godard, et si Boudin et Delacroix doivent à la Reconstruction d’être proches du musée des Beaux-Arts, Poussin n’a qu’un prolongement de la rue Saint-Nicaise et Géricault, pourtant natif de Rouen, n’a pu que rebaptiser – sans l’embellir ! – la triste rue du Chaudron, au nord de l’Aître Saint-Maclou …  La seule grande voie portant le nom d’un peintre est la rue Jouvenet qui, tout au long du faubourg Beauvoisine, honore ce Rouennais du XVIIe siècle qu’on avait jugé digne de diriger à Paris l’Académie de peinture.

Jean-Baptiste Jouvenet – Autoportrait

On a donné une rue à Joseph Court, bon peintre du premier XIXe siècle qui mériterait d’être mieux connu. Mais en définitive, les mieux lotis sont les artistes plus contemporains, choisis pour des voies nouvelles de la périphérie ; impressionnistes comme Monet ou Pissarro, Gauguin n’ayant droit qu’à l’impasse où il séjourna ; l’École de Rouen surtout, avec Lebourg, Fréchon, Delattre, Bordes, Couchaux, Angrand… Mais pourquoi avoir oublié le grand Robert Pinchon, et pourquoi pas Lemaître, Louvrier ou Vaumousse ? Enfin, outre ces noms, rouennais ou pas, des peintres eux-mêmes, ne faudrait-il pas honorer à sa juste mesure celui à qui nous devons d’avoir, dans notre musée, tant de chefs d’œuvre dont il fit le don, à savoir le collectionneur François Depeaux, qui depuis un siècle n’a toujours pas eu le remerciement d’une seule rue à Rouen ?

 Jean-Pierre Chaline

Vend manoir historique proche Rouen

Cardo et decumanus

Les grands axes rouennais romains

Traditionnellement, une ville romaine est quadrillée en cardo (axe nord-sud) et decumanus (axe est-ouest). Le cardo maximus et le decumanus maximus sont les deux axes principaux de la ville à la croisée desquels se trouvait généralement le forum, la place publique où les romains traitaient des grandes affaires. A l’heure actuelle on identifie (avec plus ou moins de certitudes) 9 cardo et 6 decumanus pour Rouen, sans savoir vraiment lesquelles étaient les maximus. La plupart reprennent avec quelques mètres de décalage les rues actuelles. Ainsi le cardo 5 prolongerait en ligne plus ou moins droite la rue Socrate depuis la Seine jusqu’au Nord. Le cardo 6 emmancherait la place de la cathédrale, la rue des Carmes et jusqu’au nord depuis la Seine. C’est probablement une des rues les plus importantes correspondant à la liaison Rouen Amiens. Les voies plus à l’est sont secondaires. Le decumanus le plus proche de la Seine relevé à ce jour est à 150 mètres de la rive actuelle. Le decumanus I est une parallèle entre la rue du Gros-Horloge et la rue Aux Ours. Le decumanus II, pour sa part, joint celle du Vieux Marché actuelle, à celle de l’actuelle cathédrale par la rue du Gros-Horloge, qui se trouve donc être un des axes les plus anciens de la ville. Le decumanus III est un des axes les plus importants, contemporain de la fondation de la cité. Partant de la place du Vieux Marché, il se poursuit par la rue Aux juifs. C’est la rue la plus large, mais rien n’assure que ce soit le decumanus maximus. Le decumanus V qui partirait de la place Cauchoise vers l’Est, en s’interrompant de part et d’autre des termes, (voir notre article p.) ne correspond pas à une rue actuelle, contrairement au VI qui, parti de la rue Cauchoise suit la rue des Bons-Enfants, des Fossés Louis VIII et s’en va probablement jusque vers la rue des Faulx. Le VII enfin rejoignant sans doute la nécropole de l’Ouest tire une rectiligne allée Eugène Delacroix pour se scinder en deux, rue des Arsins. Sans doute est il construit à la fin du Ier siècle sur l’emplacement des anciens fossés, limites de la première ville.

Charles Montmasson