Les libraires imprimeurs de Rouen, d’Henri II à Richelieu

Le 18 décembre dernier, l’Académie des sciences, belles lettres et arts de Rouen a discerné divers prix littéraires.

Nous poursuivons notre présentation des ouvrages primés avec ce mémoire de maîtrise fort enrichissant !

Le livre que M. Sylvain Skora a présenté au concours de l’académie des sciences, belles-lettres et arts Rouen, Les libraires imprimeurs de Rouen, d’Henri II à Richelieu est un mémoire de maîtrise rédigé il y a une vingtaine d’années sous la direction de M. Mellot et remanié avant sa très récente parution aux presses universitaires de Rouen et du Havre. Quel beau mémoire de maîtrise ! Quels remaniements heureux !

Tel quel, cet ouvrage complète ceux de MM. Quéniart et Mellot sur les imprimeurs rouennais, celui-là pour le XVIIIe siècle, celui-ci pour le XVIIe siècle, ce qui fait que le public possède une vue d’ensemble de l’imprimerie-librairie à Rouen sur l’espace de près de trois siècles. A la vérité, les trois auteurs n’ont pas entrepris leurs recherches dans les mêmes perspectives.

Le livre de M. Skora se recommande par une très grande clarté ‒ ce qui en rend la lecture agréable, s’agissant d’un sujet en apparence austère, mais que l’auteur parvient à rendre étonnamment vivant au cours de ses développements. C’est un portrait de groupe qu’il dresse devant son lecteur.

Il montre par quel cheminement la profession de libraire-imprimeur, entièrement libre au moment de l’introduction de l’imprimerie à Rouen à la fin du XVe siècle, s’est peu à peu moulée dans le cadre institutionnel d’un métier juré en 1579 ou, si l’on préfère, d’une corporation. La liberté d’entreprendre a fini par se plier, bon gré mal gré, aux contraintes d’une économie sociale telle que la voulait l’Ancien Régime. Elle n’y gagna guère.

L’auteur évoque ensuite les tensions et les solidarités qui régnaient à l’intérieur de cette corporation, ses prospérités et sa polarisation au XVIIe siècle entre les grands noms de l’édition rouennaise, choyés par le parlement de Rouen et l’Église d’une part, et le quasi-prolétariat de l’impression « bas de gamme » d’autre part.

Mais qu’on y prenne garde, quels qu’aient pu être les succès de l’imprimerie rouennaise, elle ne permettait guère d’ascension sociale proportionnelle à l’efficacité de ce nouveau media. On ne connaît pas de libraires-imprimeurs qui aient pu s’infiltrer au sein de la bourgeoisie installée.

La dernière partie traite des rapports entre les métiers du livre et les pouvoirs constitués : Église et État. M. Skora démonte le mécanisme de la répression des imprimeurs indociles ou dissidents, autrement dit, de la censure, à supposer que ce concept ait eu alors la netteté qu’il a prise au XVIIIe siècle à la suite des philosophes éclairés. De fait, les tribunaux civils connaissaient des procès de librairie, alors même que les gens de justice, en raison de leur activité quotidienne, ne pouvaient se passer des libraires-imprimeurs ; l’Église était incompétente sur ces sujets ; tout au plus, elle pouvait prononcer des censures spirituelles, mais ses intérêts la poussaient à ménager les gens du livre. Cet état de choses, cette confusion judiciaire, ne pouvaient mener qu’à une répression incohérente des « délits de pensée » si l’on peut ainsi parler. Alors que l’on brûla vifs des colporteurs pour avoir débité des livres interdits, d’autres contrevenants à la législation de la librairie se tirèrent d’affaires moyennant de très légères amendes.

Il ne faut pas oublier que M. Skora montre à l’envi que la tension était vive entre maîtres et compagnons ; elle divisait profondément la corporation des libraires-imprimeurs et ébréchait sérieusement l’idéal d’harmonie censé inspirer le système des jurandes. En revanche, le fait qu’elle ait compté et des catholiques et des calvinistes n’entraînait pas de conflits confessionnels. Les uns et les autres marchaient de conserve au long de cette révolution médiatique que fut la diffusion de l’imprimerie, quand bien même certains atteignaient l’aisance tandis que d’autre gagnaient à peine leur vie.

L’Académie est persuadée que la qualité des résultats acquis par M. Skora, dont il vient d’être rendu compte tient à la sûreté de la méthode dont il s’est servi : elle consiste à comparer les textes normatifs aux réalités de terrain, établies par le dépouillement de fonds d’archives très bien référencés. Le succès du livre doit beaucoup à la simplicité élégante de l’expression : jamais de développements superflus, respect du lecteur qui n’est pas sous un savoir indigeste. Tout concourt au but recherché qui est de dresser un tableau de groupe et de suggérer les tensions et les solidarités qui l’ont lié ou qui l’ont divisé.

Gérard HURPIN

C’est pourquoi l’académie des Sciences, Belles-Lettres et arts de Rouen récompense en ce jour le travail de M. Skora en lui décernant le prix Boulet-Lemoine.

Vous pouvez commander le livre par ici

Napoléon – « Et si on statuait ? » Ce que proposent les Amis des Monuments Rouennais

   Les A.M.R. ne sont pas là seulement pour critiquer ! Vigilants quant au patrimoine ancien, ils savent aussi apprécier des créations nouvelles de qualité. C’est pourquoi leur Commission de sauvegarde, dont la pétition pour un maintien en place de la statue de Napoléon a eu un large écho (1700 signatures à ce jour),  présente les propositions qui suivent, contribution concrète au débat ouvert  par l’équipe municipale. Que souhaite celle-ci, donner aux femmes une meilleure représentation dans l’espace public ? Mais pourquoi pas ! Sait-on que les AMR –  que présida longtemps avec brio Elisabeth Chirol et dont les membres sont à plus de 52% féminins … – ont su précocement  mettre en vedette une Rouennaise, Juliette Billard, première femme architecte en France, obtenant même qu’on lui dédie une placette inaugurée officiellement en 2017 et malheureusement depuis laissée à l’abandon ? Alors, qu’on honore mieux les femmes, dans cette ville qui si longtemps refusa de statufier Jeanne d’Arc, on ne saurait être contre. Sans doute faudrait-il alors songer à ces Rouennaises trop oubliées telles Marie Leprince de Beaumont (La Belle et la Bête), Amélie Bosquet (Le Roman des ouvrières), Marie Desmares (La Champmeslé)… et plus encore à des figures collectives telles les trieuses de charbon de la Presqu’île Rollet ou les ouvrières de filature, combien représentatives de la condition féminine d’hier.

  Il peut donc y avoir sur ce point un large consensus. Pourquoi dès lors le compromettre en voulant à toute force relier cela à un déménagement de la statue de Napoléon ? Celle-ci paraît peut-être lointaine  et superflue vue des fenêtres de la Mairie ; elle n’en est pas moins, vue de la ville, parfaitement à sa place au principal carrefour urbain. On ne voit donc pas, sauf pour attirer l’attention des média ou, pire, pour plaire aux révisionnistes de notre histoire, la nécessité de chasser de son emplacement dédié un monument qui fait partie du patrimoine urbain et qui, d’ailleurs, est en instance de classement au titre des M.H. Et l’on oublie de nous chiffrer le coût d’une telle opération…  Une solution beaucoup plus simple existe : si l’on veut honorer expressément les femmes sur le parvis de l’hôtel de ville, espace par ailleurs très apprécié des jeunes skaters, quoi de plus facile, et de plus consensuel,  que d’en peupler le pourtour végétal d’une série de statues ou de bustes bien représentatifs ? Voilà ce que proposent les Amis des Monuments Rouennais.

L’hôtel littéraire Flaubert, entrez dans l’univers de Gustave !

Un hôtel littéraire ? Mais qu’est-ce que cela peut bien être ? La question nous taraudait depuis de nombreuses années, alors bicentenaire Flaubert oblige, nous sommes allés passer une nuit dans le monde de Gustave Flaubert.

Car c’est bien de cela dont il s’agit. L’hôtel au confort et au charme très agréables est absolument parfait pour les standards de la gamme et il ne vole absolument ses quatre étoiles. A l’agrément de l’accueil, ajoutez le calme de l’emplacement, en fond de cour derrière une petite rue piétonne et vous aurez une idée de la tranquillité de cet arrêt du temps.

Une pause hors du temps, ou plutôt une escale dans un autre temps, celui qui inspira l’auteur de Madame Bovary, c’est bien l’originalité apaisante de cette maison. Un bar de qualité, un petit déjeuner agréable et amusant avec ses pommes d’amour et guimauves d’autrefois, un confort relaxant, tout cela modulé selon les styles propres, peut se retrouver facilement ailleurs. Mais être plongé dans l’univers de Flaubert, cela est unique.

Dès l’accueil, c’est avec le célèbre sucre de Rouen ou sucre de pommes, que l’hôte de passage est reçu, comme Gustave aimait à le faire lui-même à l’occasion. Une bibliothèque flaubertienne derrière le comptoir, un livre du maître des lieux sur la table de chevet, une chambre au nom d’un des amis de Flaubert. Il n’en faut pas plus pour mieux découvrir l’intimité du romancier. Biographies des amis et citation trônant sur le lit, comme une épitaphe à méditer, c’est bel et bien un instant culturel à l’image de l’écrivain rouennais du milieu du XIXème siècle.

D’ailleurs, il n’est pas impossible que, portés par l’ambiance, vous n’aperceviez, discrète et comme en filigrane, la silhouette, ou la célèbre mèche de l’auteur de Salammbô, veillant au confort de ses hôtes.

Napoléon : deux statues et une colonne commémorative en Normandie

  En cette année du bicentenaire de la mort de Napoléon, nous poursuivons notre série consacrée à l’empereur à Rouen, sur fond de polémique autour de sa statue retirée pour restauration et que la mairie ne souhaite pas remettre en place, dans le cadre de sa politique destinée à donner “plus de visibilité aux femmes dans l’espace urbain”. Les Amis des monuments rouennais, engagé pour la conservation du patrimoine de la capitale normande, nous offre, article après article, un angle de vue historique de la question. Si vous souhaitez soutenir leur action en faveur du maintien de la statue de Napoléon devant l’hôtel de ville de Rouen, une pétition est en ligne par ici.

S’il n’existe en tout que 6 statues équestres de l’empereur – bien moins que de Jeanne d’Arc, une femme, l’aurait-on oublié ? – , deux se trouvent en Normandie. Pourquoi, alors que ce n’est ni sa terre natale ni le lieu d’un de ses hauts faits ? A l’origine de cet hommage exceptionnel, il y a avant tout le souvenir d’une visite ou d’un passage resté vivant dans les mémoires.  Ainsi au Val-de-la-Haye (voir l’ouvrage de J. Chaib) : dès 1844, une colonne surmontée d’un aigle de bronze, avec au pied quelques reliques ramenées de Sainte-Hélène, fut érigée là où, le 9 décembre 1840, furent transbordées les Cendres sur un navire capable de remonter la Seine.

  Rouen, où le passage des Cendres le lendemain avait suscité une immense émotion, songe dès 1853 à élever une statue, la suppression de son hôtel des monnaies rendant disponible le bronze de ses balances, issu lui-même de canons pris à Austerlitz ; mais divers obstacles vont ajourner la réalisation. Et c’est à Cherbourg, la même année, que le sculpteur normand Armand Le Véel présente un projet de statue équestre qu’on inaugurera en 1858, lors de la venue de Napoléon III pour l’ouverture de la ligne ferroviaire reliant la ville à Paris. Ce bronze, où l’empereur tend le bras vers la rade dont il avait complété les digues, rappelle sur le socle une phrase de son  Mémorial : « « J’avais résolu de renouveler à Cherbourg les merveilles de l’Egypte ». Les habitants sont restés fiers de ce monument, toujours en bonne place dans  l’argumentaire touristique de la ville. Et lorsqu’en 2015 on dut quelque temps, comme chez nous,  déposer la statue pour une réfection, le maire Bernard Cazeneuve s’est bien gardé de proposer son remplacement par une figure plus actuelle…

  A Rouen, les choses traînent : les finances municipales sont obérées par les coûteux travaux d’urbanisme du maire Verdrel et, bientôt, la grave crise cotonnière ruine maints industriels et met nombre d’ouvriers au chômage. C’est seulement par une souscription départementale que l’on parvient à réunir les fonds nécessaires, et c’est finalement le 15 août 1865 qu’est inauguré le monument, dû à Vital-Dubray, artiste renommé. On l’implante très symboliquement devant l’hôtel de ville (qui, rappelons-le,  s’était établi sous le Consulat dans l’ancien monastère de Saint-Ouen), au carrefour de la rue Impériale (aujourd’hui « de la République ») voulue par Napoléon Ier et du nouvel axe est-ouest (l’actuelle rue Lecanuet) percé sous Napoléon III.  L’empereur, c’est exceptionnel, est représenté tête nue, son célèbre bicorne à la main. Certains, tel Flaubert, dans un esprit d’opposition,  ironiseront sur une soi-disant disproportion entre le crâne et le chapeau. Il aurait été plus juste de souligner, double originalité de cette statue, l’audacieux équilibre du cheval cabré et le geste de son cavalier, qui semble saluer les Rouennais… Quant à l’imposant piédestal, son décor est on ne peut plus clair : ce n’est pas le général longtemps victorieux qu’on célèbre ici mais le réorganisateur d’une France pacifiée, à travers des plaques de marbre frappées des mots « Code civil », Légion d’honneur » etc., et au moyen d’un bas-relief immortalisant, d’après un dessin du peintre Isabey, sa visite si appréciée aux manufactures rouennaises en 1802…

  C’est sans doute pourquoi après le 4 septembre, la Ville, qui républicanise alors certains noms de rues, ne touche pas au monument napoléonien. Il y aura bien, en 1882, un élu radical nommé Chemin qui, estimant  « que la statue de Napoléon Ier, le meurtrier de la Première République, est une œuvre malsaine et détestable au point de vue politique », en réclamera le remplacement par un « monument républicain », tel qu’une Marianne… Mais le maire Louis Ricard, bien que marqué à gauche, aura la sagesse d’enterrer un projet nullement consensuel.  Peut-on espérer qu’au vu de notre pétition, il en sera de même aujourd’hui ?

Jean-Pierre Chaline

Amis des monuments rouennais

Rouen – Les trois passages de Napoléon

Dans le cadre de l’émotion et des débats suscités par la volonté de la mairie de Rouen de ne pas replacer la statue équestre de Napoléon Ier sur son socle, les Amis des Monuments Rouennais nous font l’amitié de nous exposer les enjeux de cette décision et de la consultation publique qui aura lieu

   1802 : c’est un Premier Consul triomphant qui fait visite à Rouen. Ne vient-il pas en peu de temps, avec des réformes administratives (les préfets), financières (le célèbre franc germinal) puis, avec le Concordat signé avec le pape, de mettre fin aux désordres que la Révolution n’avait pas réussi à surmonter ? Et plus encore, vainqueur déjà des Autrichiens, n’a-t-il pas mis fin à dix ans de guerre franco-anglaise par la Paix d’Amiens ? La Normandie en est la grande bénéficiaire, pouvant enfin reprendre une activité maritime et importer d’Amérique le coton nécessaire à son industrie naissante. Aussi l’accueil, savamment orchestré par l’actif préfet Beugnot, est-il enthousiaste à Rouen où le héros, reçu par une entrée royale, fera une visite très appréciée aux premières usines textiles qu’il souhaite encourager. Pleine réussite, donc, accompagnée de mesures durables comme l’ouverture précoce d’un lycée ou la reconstitution de la Chambre de commerce. Pleine satisfaction aussi du visiteur qui écrit à son frère : « Je suis aussi content de Rouen que de Lyon…J’aime vraiment cette belle, bonne Normandie ». Et n’oublions pas la célèbre phrase prononcée à cette occasion ; «  Paris, Rouen et Le Havre ne sont qu’une seule ville dont la Seine est la grande rue »…

    1810 : L’empereur revient à Rouen avec sa nouvelle épouse Marie-Louise. Réception fastueuse à nouveau mais l’ambiance est tout autre : la guerre, même victorieuse sur le continent, a ramené le blocus de nos côtes par la flotte anglaise, ce qui ruine les ports  et prive l’industrie du coton de sa matière première. Le régime, devenu très autoritaire, les impôts et une conscription alourdie ajoutent au mécontentement. C’est pourquoi Napoléon, pour y remédier, lance un programme de grands travaux pour moderniser une ville restée très archaïque : enfin un pont de pierre et, dans son prolongement, une grande percée nord-sud, tandis qu’on reconstruira les quais de rive droite. Beau projet que, les défaites militaires et la chute de l’Empire ne permettront de réaliser que bien plus tard, le pont en 1829 et la rue Impériale (aujourd’hui rue de la République) que sous Napoléon III !

Plan d’urbanisme de Rouen en 1810

   Alors qu’après 1815 la paix revient durablement sous une monarchie restaurée et que Rouen connait une réelle prospérité grâce à l’industrie cotonnière, l’opinion, elle, ne tarde pas à se lasser  d’un nouveau régime bien terne à côté du souvenir embelli des gloires impériales. La lecture du Mémorial de Sainte-Hélène et l’image du héros mort là-bas en exil enflamment les imaginations. C’est conscient de ces rêves que Thiers, ministre de Louis-Philippe, suggère d’organiser un grand   retour des Cendres de Napoléon, espérant que le prestige en rejaillira sur le pouvoir en place.

   1840 : C’est l’un des fils du roi des Français, le prince de Joinville, qui est chargé de ramener, sur la frégate La Belle Poule,  le cercueil de l’empereur. Le navire le débarque à Cherbourg, sur un bateau de moindre tonnage qui remontera la Seine. Mais un nouveau transbordement s’impose, au Val-de-la Haye, sur un vapeur fluvial, La Dorade, transformé en nef funéraire. Avant Paris, un seul arrêt, à Rouen. C’est le 10 décembre. Toute la ville est sur les quais. Du pont suspendu décoré en arc de triomphe pend une immense croix de la Légion d’honneur. Sur les deux rives, des obélisques rappellent les victoires impériales. Le canon salue l’arrivée du convoi funèbre qui lentement traverse une ville recueillie et fait halte un moment. Alors la ferveur contenue éclate, tandis que résonnent les tambours et les cloches. « Tous les yeux, écrit le Journal de Rouen, étaient fixés sur cette frêle barque portant sur son avant celui qui, pendant sa vie, remplit le monde de son nom et de ses exploits »…  Brève visite, mais la plus intense : Napoléon n’est pas encore aux Invalides, mais pour tous les Rouennais, il vient d’entrer dans l’immortalité. Et c’est dans ce souvenir que 25 ans plus tard ils élèveront sa statue.

Jean-Pierre Chaline

Si vous souhaitez souhaitez l’action des Amis des Monuments Rouennais (AMR) en faveur du maintien de la statue équestre de Napoléon à Rouen une pétition est disponible sur ce lien

Notre illustration, le passage des cendres en 1840

Flaubert, « quelque peu de cidre dans les veines » – Etudes Normandes – Septembre 2021

Le dernier numéro d’Etudes Normandes vient de sortir.
Année Flaubert oblige, le numéro est consacré à l’auteur rouennais.

Dans un texte consacré à Flaubert, il arrive toujours un moment où l’auteur, habité par l’obsession du Maître de ne pas répéter un mot à moins de dix lignes de distance, cherche un équivalent pour ne pas utiliser une nouvelle fois le nom propre. La périphrase qui vient ordinairement sous la plume, c’est : « l’auteur de Madame Bovary », même quand le contexte ne l’impose pas. Il y a un autre choix : « l’écrivain normand ».

Qu’est-ce qu’on veut dire par là ? L’écrivain qui est né, qui a vécu la plupart du temps, qui est mort et enterré en Normandie ? L’écrivain dont plusieurs œuvres se passent en Normandie ? « L’enfant du pays » dont les Normands se souviennent grâce aux Maisons des illustres, aux statues, aux plaques, aux manuscrits, aux livres de sa bibliothèque, c’est-à-dire à l’ensemble du patrimoine matériel, donnant une représentation concrète de ce patrimoine immatériel constitué par ses livres qui, lui, appartient à l’humanité ? Tout cela à la fois. L’essentiel est que l’expression ne soit pas perçue comme réductrice : Flaubert appartient à sa région sans être un écrivain régionaliste ; il n’a pas donné non plus de son pays une image idéalisée qui permettrait de le promouvoir en icône d’une affiche promotionnelle. Sa Normandie n’est pas faite pour plaire ou séduire : comme pour tous ses sujets, il l’a couchée sur sa table de dissection, et il a pris son scalpel.

Deux cents ans après sa naissance, la question se pose de savoir s’il y a encore quelque chose à dire sur Flaubert en général, et sur son rapport à la Normandie en particulier. Les spécialistes de l’auteur entendent souvent la question : « Vous trouvez du nouveau ? Tout n’a pas été écrit ? » Question légitime, à la fois naïve et pertinente. Car l’œuvre de Flaubert est close ; il y a mis un point final. Mais des documents inédits continuent à sortir, au gré des découvertes des chercheurs et des ventes publiques : des actes notariés, des lettres, des notes, des fragments de manuscrits, des livres dédicacés. Et surtout, chaque lecture informée ouvre une voie, fait surgir un sens inaperçu, établit des rapports auxquels on n’avait pas pensé.

Il a donc paru possible à l’Association des Amis de Flaubert et de Maupassant, honorée d’être invitée par Études normandes à organiser un dossier pour le bicentenaire, de tenter l’exploration renouvelée de quelques sentiers : l’appartenance ambivalente de Flaubert à la bourgeoisie rouennaise, les propriétés foncières de la famille dans la région, le rôle joué par la plage de Trouville, les paysages des romans normands et des films qui en sont adaptés, les lieux de mémoire qui inscrivent dans le territoire celui qui a mis la Normandie dans ses livres.

Association des Amis de Flaubert et de Maupassant

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Egalement disponible à L’armitière – Rouen

Quel avenir pour la statue de Napoléon ?

QUEL AVENIR POUR LA STATUE DE NAPOLÉON ? LES AMIS DES MONUMENTS ROUENNAIS CONTRIBUENT AU DÉBAT

   Il y a un mois, le Maire de Rouen Nicolas Mayer-Rossignol lançait l’idée de remplacer la statue équestre de Napoléon ornant la place de l’hôtel de ville et provisoirement déposée pour restauration par une statue féminine, celle, proposait-il, de Gisèle Halimi « figure de la lutte pour le droit des femmes ». Si l’annonce relevait en partie de la « com », c’est sans doute un succès puisque la presse nationale et les grandes chaînes de télévision ont fait écho à ce projet assurément clivant ; mais elles ont montré aussi qu’il ne faisait nullement l’unanimité, voire qu’il choquait profondément nombre de Rouennais et, plus généralement, de Français qui, par divers canaux, ont exprimé leur désaccord.  Par-delà des oppositions qu’on pourra parfois juger partisanes, les Amis des Monuments Rouennais, association statutairement apolitique luttant seulement pour la sauvegarde du patrimoine de notre ville, ont d’emblée exprimé un avis raisonné qu’ils remercient Rouen-sur-Scène de pouvoir plus largement diffuser, avant les rappels historiques et les propositions concrètes qui suivront.

   Comme ils l’ont précisé dès le 12 septembre dernier dans une lettre au Maire de Rouen, les AMR  en tant que tels n’ont rien à objecter au désir municipal d’ « étendre la place des Femmes dans l’espace public » en honorant par une statue nouvelle ou par une dénomination de rues telles ou telles personnalités féminines, qu’ils souhaiteraient seulement liées à la Normandie. Mais  faut-il pour cela que la statue envisagée prenne la place d’une grande figure historique à la notoriété incomparable, et d’un monument qui, depuis plus d’un siècle et demi, fait partie intégrante de notre patrimoine ? Il est bien d’autres sites dans notre ville où une statue nouvelle trouverait dignement sa place : par exemple face au Musée dans le square Verdrel d’où partira bientôt le mobile de Calder ; dans les Allées Delacroix près du Palais de Justice, ce qui aurait un sens ; et pourquoi pas dans le quartier Flaubert dont les rues auront toutes un nom de femme ?

   Vouloir à toute force que cette statue nouvelle remplace celle de Napoléon, c’est oublier d’abord qu’il faudrait enlever aussi l’énorme socle de cette dernière, orné de références impériales : en a-t-on mesuré le coût ? Mais c’est surtout l’intention symbolique qui paraît contestable : chasser la statue de Napoléon de la place de l’hôtel de ville, c’est, qu’on le veuille ou non, renier notre passé et donner l’impression qu’on approuve les tenants d’une cancel culture rêvant de déboulonnage  qui avaient barbouillé le monument. Quoi qu’on puisse reprocher à Napoléon, c’est à lui que l’on doit les structures de la France moderne, et c’est précisément ce que rappellent les plaques de bronze ornant le socle de sa statue : Code civil, Légion d’honneur, Industrie nationale… C’est cela que la Ville de Rouen avait voulu retenir de lui.  Sans doute nous propose-t-on une autre implantation. Mais outre le coût élevé d’un tel déménagement, il n’en reste pas moins que cette éviction équivaudrait à un déclassement et que le site suggéré, la pointe de l’Ile Lacroix, d’accès piétons très incommode, ressemblerait à un nouvel exil, après l’Ile d’Elbe et Sainte-Hélène !

  Non, décidément, un monument aussi patrimonial, conçu pour son emplacement actuel face aux bâtiments abbatiaux dont Napoléon fit notre hôtel de ville, en haut de la voie nouvelle (aujourd’hui rue de la République) dont il décida le percement, ne saurait être un simple enjeu dans une relecture polémique de notre Histoire. Et combien son déplacement serait mal venu alors qu’un peu partout en France on commémore officiellement la mort de Napoléon il y a deux cents ans !  La Mairie nous annonce ( https:/rouen.fr/femme-espace-public) une concertation avant une « votation citoyenne » sur le sujet. Ne manquez pas de vous informer et finalement de voter.

Et dans l’immédiat, rejoignez, si vous le souhaitez, la pétition ci-jointe lancée par les AMR.

Pourquoi maintenir en place la statue de Napoléon !

La Mairie de Rouen souhaite profiter de la restauration de la statue équestre de Napoléon pour enlever de la place de l’hôtel de ville ce monument historique au profit d’une statue féminine, celle propose-t-on de Gisèle Halimi, personnalité sans lien avec la ville de Rouen. L’idée de cette mise en avant de Gisèle Halimi n’est pas remise en cause. Mais il y bien d’autres lieux possibles qui ne supposent pas de déboulonner le passé.

Pourquoi maintenir la statue de Napoléon à Rouen ?

“Il s’agit d’une des six statues équestres de l’empereur. Napoléon est venu à Rouen à deux reprises, en 1802 pour visiter les manufactures de Saint-Sever et en 1810 avec des projets d’urbanisme qui verront entre autres la construction d’un premier pont et l’actuelle rue de la République. En 1840 enfin, ses Cendres passèrent sur la Seine, saluées avec émotion par tous les Rouennais.  Peut-on, pour le Bicentenaire de sa mort, écarter – quoi qu’on puisse lui reprocher – ce témoin si important de notre histoire ?” Précisent les Amis des monuments rouennais.

Nous avons demandé aux “Amis des monuments rouennais” de nous rédiger quelques articles historiques plus complets, dans les semaines qui viennent.

Si vous souhaitez exprimer votre désaccord avec le projet municipal, vous pouvez le faire via ce lien

Rouen en 312

Une nouvelle capitale qui renaît ?

Avec le diaporama XXL sur Rome en 312, nous sommes demandés à quoi ressemblait Rouen à cette date. Situé dès l’origine sur une rive de la Seine de prime abord compliquée pour l’homme, la cité primitive trouve pourtant à cet endroit précis de très nombreux atouts que ne cumulent pas les autres sites riverains, notamment une terrasse légèrement surélevée, d’une composition géologique accueillante (plus ou moins le pourtour de la cathédrale), une ligne de sources importantes (au niveau de la gare) et alimentant un réseau de ruisseaux complété par de nombreux puits d’eau potable. Mais plus encore peut-être, les rives de Seine sont de bonne composition pour tenir un port à proximité et les percées de voies terrestres ouvrent à l’extérieur les falaises ailleurs abruptes. Ici, il y a deux-mille ans, le fleuve mesurait 500 mètres de large (contre 150 aujourd’hui). Si les premiers habitats sont difficiles à dater, les prémices de la cité semblent dater de -23 avant J-C. Mais il faut attendre le début de notre ère, sous Auguste pour que les îlots urbains se dessinent vraiment, autour de l’actuel palais de justice et de la place du Vieux Marché, 6 ou 7 mètres en dessous du niveau actuel du sol de la cathédrale (14 m). A cette date, la cité s’organise autour de deux pôles, le centre, sur la terrasse et le port. C’est sous les Flaviens que la cité prend de l’ampleur et sort des limites confortables que lui procure l’écosystème naturel.

Au début du IIIème siècle la ville atteint son extension maximale, avec de nouveaux monuments, un habitat plus dense et mixte. Les grandes domus côtoient les maisons plus humbles. Mais à cette date l’empire traverse une grande crise qui semble toucher la ville. Certains quartiers périphériques sont désertés, tandis qu’une succession de nombreux incendies laissent de lourdes cicatrices. Prise entre la seine, les zones marécageuses et la colline, la ville ne dépasse guère les 80 ha, là où Paris rive gauche est à 100 ha et Reims 600. Bien que capitale de la seconde Lyonnaise depuis 293 et ville épiscopale (première mention au Concile d’Arles de 314) Rouen n’est qu’une cité moyenne. A l’aube du IVème siècle, la ville semble se repeupler. Les habitations se densifient, notamment autour du groupe cathédral. Mais il faut bien reconnaître que peu de monuments sont encore connus.  Les thermes (situés entre la rue Socrate et la rue des Carmes) sont attestés dès le IIème siècle. On a retrouvé l’amphithéâtre, situé sur la rue Jeanne d’Arc et la rue Morand, un théâtre à l’angle de la rue de la Chaîne et de la rue Saint-Amand, une esplanade monumentale et une fontaine (nymphée) place de la pucelle ainsi qu’une zone commerciale au nord des thermes. Quelques grandes domus luxueuses, notamment place de la cathédrale (incendiée au IIIème siècle) et d’autres monuments imposants, mais non identifiés, se retrouvent ça et là, notamment autour du Gros-Horloge. Mais le forum, lieu de vie romain par excellence, n’a jamais été identifié. Pour l’heure on tend à le situer dans le quartier du palais de justice.

La proximité accessible de la nappe phréatique, la ligne de source, les ruisseaux ou le Robec (qui revêt une très grande importance dans l’histoire de la ville), comme la Seine ont rendu inutile la construction d’un aqueduc. Mais fleurissent nombre de puits et de fontaines. On retrouve des éléments du port, 150 m au nord de la berge actuelle, place de la Haute Vieille Tour, rue Grand-Pont ou encore à hauteur du théâtre des Arts. Les fouilles épigraphiques révèlent que les noms utilisés sont communs aux trois Gaules. On ne relève pas de particularismes locaux (ce qui ne veut pas dire qu’il n’y en avait pas). L’écrit semble assez répandu à Rouen. Enfin, on trouve des Rouennais exilés dans d’autres villes comme Lyon en nombre bien plus important que pour les autres cités de la région.

En 312, Rouen est donc une ville administrative et religieuse (chrétienne) de l’empire. Capitale de fraîche date, elle bénéficie d’une position privilégiée en matière de communication, notamment avec ses voisines, Lillebonne ou Evreux. La vie, un temps compliquée, semble repartir au rythme de l’empire.

Charles Montmasson