Beethoven, la IXème, le rendez-vous manqué de Rouen

Programmer la célébrissime IXème de Beethov’ est toujours un événement. UN événement pour le public, mais aussi pour l’orchestre et les chœurs. Et ce n’est pas sans trembler que les plus grands chefs, comme les plus célèbres compositeurs se sont approchés de cette partition inégalée par bien des côtés. Karajan, un des grands spécialistes du maître de Bonn, disait vouloir être congelé à sa mort, le temps de donner à la science de le faire revivre, car il ne savait toujours rien de Beethoven. Autant dire que les secrets de l’interprétation de la IXème sont loin d’être totalement dévoilés et que sur cette pente il est possible de discuter des heures et des heures.

Pour autant, le compositeur à laissé de nombreuses indications, à l’intérieur même de la partition, pour une exécution de l’œuvre ouvrant à une forme d’absolu qui justement en fait ce monument exceptionnel. Et il faut bien dire que la représentation donnée à l’opéra de Rouen était aux antipodes de la puissance créatrice de Beethoven. Certes, le public a chaleureusement applaudi l’exploit de la IXème au cours duquel l’orchestre de l’opéra a montré une fois encore le formidable potentiel de la phalange rouennaise. Et il est bien clair que dans les lignes qui suivent les musiciens ne sont pas en cause. La qualité instrumentale et sonore était au rendez-vous, mais pas la IXème.

Nous avons assisté aux premiers moments d’une première répétition. Les instrumentistes arrivent ayant travaillé leur partition et mettent au service de l’œuvre un vrai talent musical. Mais voilà, nous avons l’impression d’en être resté là. Tout le travail de mise ensemble, d’interprétation, de respiration de l’orchestre semble être resté en friche, comme un matériau brut non travaillé. C’est du reste le désolant fil rouge de cette saison 2018/19. Un orchestre au formidable potentiel laissé en friche par une succession de chefs qui ne le fait pas travailler en profondeur. Sous employé, l’orchestre de Rouen donne l’impression d’être en roue libre à de trop rares exceptions près.

Tel fut en tout cas le sentiment dominant de ce rendez-vous manqué. Avec un tempo bien trop rapide, la symphonie s’est transformée en une course saccadée aux accents saillants et secs à l’extrême. Dans cette précipitation les fins de phrases se télescopaient au bout d’une progression électrique et décousue. L’essoufflement d’ensemble empêchait la mise en relief de la respiration harmonique pourtant capitale dans la montée progressive vers le finale mais rendue impossible par de nombreux « dérapage » liés à la juxtaposition des musiciens à qui on ne semblait pas avoir voulu donner d’unité. De cafouillis en approximations, l’ensemble s’écrasa dans un finale que seule la qualité de la pâte instrumentale pu sauver.

S’il y eut plus d’unité dans le second mouvement, les chevauchements étaient toujours là, accentués par un manque évident de contraste dans les nuances, transformant la percussion en simple fanfare. Pour avoir une idée de la fanfare festive qui pourtant reste symphonique, il faut écouter les marches militaires commandées à Beethoven pour l’effort de guerre. Elles n’ont rien du pompier caricatural qu’on se plait à voir en lui. Ce manque de relief fut encore accentué par le tempo laissant place à une cavalcade aux attaques saillantes hors de propos.

Passons sur « l’entracte » sur place qui coupa nette le reste de tension harmonique qui lie toute l’œuvre de bout en bout pour entrer dans le méconnaissable troisième mouvement durant lequel la ligne mélodique se fracassait sur une ligne harmonique inversée, comme si ce fut une version revisitée par Berlioz.

Le dernier mouvement pâtit des mêmes travers, auxquels il fallut ajouter un quatuor vocal déstabilisé par la soprano. L’entrée des chœurs, sur une toute autre ligne d’interprétation plus chaleureuse et visiblement nettement plus travaillée par Frédéric Pineau, introduisit un nouveau décalage d’interprétation, mais offrit une douceur harmonique qui manquait dans la cavalcade précédente.

Certes ce n’est guère dans l’ère du temps, mais un chef attitré permettrait sans doute à ce bel orchestre de donner toute la richesse dont il recèle.

Cyril Brun

Concert entendu au Théâtre des Arts de Rouen, le 4 juin 2019

Orchestre de l’opéra de Rouen, orchestre Régional de Normandie, chœurs régionaux, chef de chœur Frédéric Pineau, direction Jamie Phillips