La gloire des impressionnistes et de leurs émules a laissé dans l’ombre des peintres de talent restés en dehors du nouveau courant pictural. Tel est le cas d’Émile-Louis Minet, fort apprécié pourtant en son temps.

Né le 14 mars 1841 à Rouen et mort le 28 avril 1923 à Vernon, donc à deux pas de Giverny, Minet est presque exactement le contemporain de Monet (1840-1926) dont il partagera le goût pour les bords de Seine et la campagne normande. Mais là s’arrête leur similitude, car de milieu beaucoup plus modeste, il a d’abord dû travailler dans le textile, dessinateur en indiennes puis apprêteur de drap à Elbeuf, avant de pouvoir s’adonner à la peinture. Formé à l’École de Dessin de Rouen, sous la direction de Gustave Morin, il va ensuite se perfectionner dans l’atelier de peintres parisiens, Jean-Baptiste Guillemet ou Henri Gervex. Mais c’est surtout le paysagiste César de Cock suivi dans ses tournées près de Gasny, qui devait l’orienter vers ses motifs favoris, les fleurs et les scènes champêtres.

C’est ce qu’il présente en 1874 à l’exposition municipale de Rouen : un « Déjeuner normand » et un « Bouquet de chrysanthèmes », des toiles ne risquant pas de choquer le très académique jury de cette manifestation. Dès lors Minet va se risquer au Salon parisien. En 1876, il y envoie un « Lavoir à Gasny » ou des « Fleurs des champs », qui lui valent un succès d’estime confirmé aux expositions suivantes où ses « Foins de Saint-Aubin » (aujourd’hui au musée de Blois) reçoivent une mention honorable, tandis que son « Appel au passeur » obtient à Rouen la médaille d’or lors du salon de 1886. Sa production, présente notamment dans les musées d’Elbeuf et de Louviers, n’est pas sans caractère répétitif avec ses bouquets un peu convenus (l’un, toutefois, fait penser à Renoir) et ses bords de Seine où des barques transportent paysans ou pêcheurs. Son installation à Freneuse, sur les rives du fleuve entre Elbeuf et Pont-de-l’Arche, ne fera qu’accentuer cette prédilection pour des scènes champêtres au bord de l’eau qu’il présentera encore au Salon parisien dans les années quatre-vingt-dix, des voyages vers l’Afrique du Nord et la Riviera enrichissant un peu son répertoire.

Malgré une similitude de motifs qui parfois l’en rapproche, Minet reste en marge de l’impressionnisme. Il s’inscrit plutôt dans une tradition réaliste, sa « Procession de la Fête-Dieu » faisant songer au célèbre « Enterrement à Ornans », tandis que ses scènes de pêche illustrent le monde du travail. Indices de sa notoriété, l’achat en 1886 par un collectionneur américain de son Retour des moissonneurs, ou la commande en 1894 par un fabricant elbeuvien de panneaux allégoriques sur les thèmes de l’Agriculture et de l’Industrie drapière. Assez renommé désormais pour avoir des élèves Minet va connaître une consécration tardive à Rouen. Sa qualité de peintre, avant tout, du « local », son art éloigné des « extravagances » reprochées alors aux divers novateurs, le font choisir en 1905 comme conservateur du musée des Beaux-Arts. Il le restera jusqu’en 1922, et c’est donc lui qui, en 1909, aura la charge d’accueillir la célèbre donation Depeaux. Il entre en 1917 à l’Académie des sciences, belles lettres et arts de Rouen. Il devait décéder peu après, en 1923. Sa tombe, au Cimetière Monumental de Rouen, mériterait à coup sûr d’être signalée, comme on l’a fait pour d’autres peintres plus novateurs. Car les artistes dits « académiques » pouvaient aussi avoir du talent. Sachons donc redécouvrir un peintre comme Minet, longtemps oublié au fond des réserves mais aujourd’hui remis aux cimaises de nos musées, fût-ce en contrepoint de l’impressionnisme triomphant.
Jean-Pierre Chaline


De Monet à Minet, en marge de l’impressionisme”, Etudes Normandes, 2013 – 2