Quand l’eau de laquelle on surgit, fait à ce point corps avec l’athlète, elle surgit à son tour tout autant de cette communion qui fait du nageur habité un seul battement de cœur cadencé du rythme ondulant d’une symphonie aquatique. Qui de la nageoire ou du flot donne à l’ondée l’impulsion qui chatoie en surface et remue en profondeur ? C’est cet infini insaisissablement liquide, d’apparence sans forme que met en scène, en rythme, l’étonnante plongée de Maxime Taffanel. Nageur de haut niveau, rompu aux compétitions et aux défis, il décide de mettre un terme à sa carrière quand le chronomètre s’est imposé entre lui et elle. Elle ou lui, l’eau et le nageur, c’est d’abord une rencontre et une première histoire d’amour. Amour contrarié par l’objectif de la performance, mais purifié dans la liberté retrouvée de la première rencontre.
Issu d’une famille d’artistes et de danseurs, le théâtre conduit le jeune élève de l’ENSAD, où il rencontrera Ariel Garcia Valdes, à la troupe des élèves de la Comédie française, avant de mettre en scène, comme un prolongement de lui-même, cette rencontre de l’eau et du nageur, tel le petit prince et le renard. Si Nelly Pulicani met en scène, la relation du nageur et de l’eau s’écoule naturellement en poésie corporelle. Le rythme de l’eau comme de la nage écrit sa propre musicalité, au point que pour mieux rendre la poésie de l’aquatique mystère, Maxime plonge à nouveau pour la sentir, l’écouter et s‘écouter lui-même dans la cadence de ses mouvements, écouter enfin le monde qu’on entend si différemment depuis les profondeurs marines.
Pour le jeune nageur, c’est comme si de lui s’exhalaient ces centaines d’heures passées dans l’eau au gré des entrainements, des victoires. Temps de grâces, mais aussi de difficultés et enfin de renoncement quand il fallut s’extirper de l’eau comme on arrache une peau. Pour autant, le spectacle 100 mètres papillon, s’il raconte l’eau, le nageur, la nageur et l’eau, n’est pas le récit biographique d’un ex athlète. Larie est un personnage inventé par lequel l’auteur poétise son rapport à l’eau tant par le rythme des mots que par les jeux de la chorégraphie, dont le coach, figure incontournable de ce rapport à l’eau qu’il peut accompagner ou contrarier, est le chef d’orchestre. Comme sous la baguette d’un maestro, le public respire avec l’acteur. Elément discret mais vital dans la communion, la respiration unit le public et le nageur comme l’air passe de la terre à l’eau au rythme du corps immergé. Et c’est finalement bien un 100 mètres qui nous conduit sur l’aileron delphinal d’Apollon et de ses muses, d’un bout à l’autre d’une représentation qui n’est pas la simple mise en espace aérien d’une rencontre sous-marine, mais un itinéraire qui au confluent de la passion et de la performance fait du renoncement une ouverture vers d’autres horizons. « On est humble quand on renonce », confie le jeune homme, comme clef de lecture de ce spectacle performance où sport et art se retrouvent comme une évidence.
Romain de La Tour
Donné à Rouen les 9 et 11 janvier 2019- L’Etincelle – Chapelle Saint-Louis
Une salle comble en apnée chrono de l’âme aquatique en main !